jeudi 3 janvier 2008

Arche de Zoé : pas de rupture en Françafrique.

Ayaovi Agbobli, financier.
Liberation, jeudi 3 janvier 2008

L’affaire de l’Arche de Zoé n’est que le dernier avatar de la déliquescence de la souveraineté des Etats africains sur la scène internationale. Il illustre plus qu’aucun autre le manque de respect, voire la condescendance des grandes ou moyennes puissances telles que la France à l’égard des peuples africains et des institutions dont ils se sont dotés. Alors même que le président de la République française, Nicolas Sarkozy, appelait de ses vœux la construction de nouvelles relations avec le continent africain à l’occasion de son allocution controversée du 26 juillet 2007 à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, son premier véritable acte sur la scène médiatico-diplomatique africaine au sud du Sahara consiste à revenir aux bonnes vieilles méthodes de l’«Afrique de papa» en sollicitant fortement le pouvoir exécutif tchadien et, par ricochet, le pouvoir judiciaire de ce pays pour le transfèrement de ressortissants français. Nonobstant les sempiternels propos éculés des officiels français sur l’indépendance de la justice tchadienne, on devine les pressions exercées en coulisses par la France pour une application la plus favorable possible aux intérêts des «humanitaires» français de la convention judiciaire de 1976 entre la France et le Tchad. Est-ce en encourageant la subordination du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif du Tchad que les autorités françaises souhaitent impulser cette nouvelle dynamique dans les relations entre la France et l’Afrique ?

Comment pouvait-il en être autrement d’un chef d’Etat fraîchement élu qui réserve, au nom d’une sacro-sainte tradition africaine de respect des anciens, la dernière escale de sa première tournée africaine au président du Gabon, Omar Bongo Ondimba, doyen des chefs d’Etat africains mais surtout symbole vivant de la Françafrique ? Mais les émois des Africains en général et sur cette affaire tchadienne en particulier ne semblent guère toucher les responsables de la diplomatie française. Les autorités françaises justifient le transfèrement de leurs ressortissants arguant des prétendus mauvais systèmes judiciaire et carcéral tchadiens. C’est vrai, la justice au Tchad comme dans de nombreux pays africains est souvent la cinquième roue du carrosse. Cependant, le meilleur moyen d’améliorer le fonctionnement de la justice de ces Etats n’est-il pas d’encourager une collaboration plus étroite entre magistrats français et africains (dont beaucoup sont formés en France) sur des affaires concrètes au lieu de sans cesse vouloir la délocalisation de procédures impliquant des ressortissants français ? Ne faudrait-il pas augmenter la part de la justice dans l’aide publique au développement en faveur des pays africains afin d’en renforcer les moyens en ressources humaines et matérielles ?

Confrontée à de nombreux autres défis, l’Afrique n’a pas fait de la justice une priorité, mais cela ne saurait exonérer le continent de progrès à réaliser en la matière avec ou sans le soutien de ses partenaires extérieurs. Néanmoins rien ne justifie que les inculpés, une fois condamnés, purgent leurs peines en dehors du sol tchadien. La rigueur de la justice et des prisons tchadiennes doit s’appliquer pour les Tchadiens comme pour tous ceux qui se rendraient coupables de délits ou de crimes sur son sol. A ce titre, il est peu fait mention par la presse et les autorités françaises du sort et des conditions de détention, autrement plus difficiles, des quatre citoyens tchadiens ayant aidé les «humanitaires» français dans leur fâcheuse entreprise.

Il n’est pourtant pas si loin le temps où le pays des droits de l’homme s’était tout autant mobilisé pour la libération de la journaliste Florence Aubenas que pour celle de son traducteur irakien, Hussein Hanoun, tous deux otages en Irak.

La France du président Nicolas Sarkozy qui aurait été si déterminante dans la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien emprisonnés en Libye va-t-elle abandonner à leur triste sort des personnes, il est vrai de nationalité tchadienne, qui n’auraient eu d’autre tort que d’aider, probablement à leur insu, des ressortissants français dans l’accomplissement d’actes potentiellement criminels ? Les autorités françaises se disent peut-être que la justice et les prisons tchadiennes sont parfaitement adaptées à ces gens-là. Alors, que faudrait-il faire pour que la souveraineté nationale des Etats africains soit enfin respectée ?

A l’évidence, l’indignation des intellectuels et des opinions publiques africaines lors d’événements dramatiques comme celui de l’Arche de Zoé ne suffit pas. Tout comme il ne suffit pas d’accabler perpétuellement les grandes et moyennes puissances pour leurs comportements hégémoniques.
Il appartient peut-être d’abord aux Africains d’aimer profondément leurs nations en prenant part au destin commun de leurs peuples dans les moments de liesse collective comme dans les périodes d’extrême détresse. Certes les conditions d’existence sont difficiles en Afrique, mais cette émigration massive vers les pays d’Europe des forces vives du continent au-delà de ses raisons profondes et légitimes liées à l’incurie et la gabegie des dirigeants successifs n’est-elle pas le signe d’un manque d’amour des citoyens africains pour leurs patries ?

Cette frénésie chez certains Noirs d’Afrique de vouloir troquer leur nationalité voire leur identité au profit de celles de certains pays occidentaux ne participe-t-elle pas aussi à cette déliquescence de la souveraineté des Etats africains ? Enfin, le temps n’est-il pas venu pour les Africains d’arrêter de tendre la main pour recueillir quelques miettes d’aide extérieure et de ne compter que sur leurs propres ressources humaines et financières, qui sont, contrairement à l’idée si souvent répandue, considérables ?

Tant que nous ne nous respecterons pas nous-mêmes, n’attendons pas des autres un quelconque respect de notre souveraineté nationale…

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