dimanche 5 septembre 2010

Komla KPOGLI: "La France est un grave danger pour les Africains".


Lynx.info : On manifeste toujours depuis la réélection de Faure Gnassingbé au Togo. Dans vos articles, vous semblez dire que ce n’est pas la bonne formule. C’est ça ?

R. Komla KPOGLI  SG de la J.U.D.A
Komla KPOGLI: Tout d'abord, personne n'a élu ni réélu Faure Gnassingbe au Togo. Il a été imposé aux Africains du Togo depuis le décès de son feu père en février 2005. A partir de là, notre peuple a tous les droits de refuser cet ordre injuste, illégitime et violent installé par la France et appuyé par certains autres pays dont la Chine. Compte tenu des conditions dans lesquelles la dernière présidentielle a été organisée, tout politique devrait s'attendre aux résultats que nous avons. Seulement, le problème est que rien n'a été théorisé. Rien n'a été organisé. Personne n'a été formé pour que ces manifestations soient une réussite. Pire, les partis qui chapeautent les manifestations se sont pliés aux injonctions du système qu'ils veulent combattre. Le système leur a interdit de manifester en semaine et ils obéissent à cela avec l'illusion que cela le fera tomber. Ils n'organisent donc des manifestations que les samedis suivant un itinéraire imposé à eux. Les centres du pouvoir sont laissés libres à leurs illégitimes occupants pendant que le mouvement populaire est orienté vers la plage à Lomé. Tout le reste du territoire est resté entre les mains du système qui l'a verrouillé. De surcroit, on avait dit réclamer la victoire volée et on organise un congrès de l'UFC à l'issue duquel on envoie les résolutions au ministre de l'intérieur du gouvernement qu'on rejette. Il y a quelque chose d'incohérent en tout ceci, non? Nous disons que notre lutte est suffisamment grave pour être guidée par ces incohérences et ces improvisations. Ces manifestations sont mal conçues, mal dirigées, mal orientées et donc elles ne peuvent qu'échouer.

Nous disons simplement et sans prétention que si nous voulons nous en sortir, il nous faut une étude approfondie de l'adversaire, de ses stratégies, ses alliés, ses forces et ses faiblesses et en conséquence élaborer notre stratégie de lutte, former les nôtres, les préparer et les orienter vers des actions les plus efficaces possibles.

Lynx.info : Vous voyez une main française suite à l’échec de la table ronde de Paris sous François Boko. Vous avez des arguments ?

Il ne s'agit pas d'échec. La chose est simple. La France a voulu protéger Faure Gnassingbe en lui évitant de faire recours une nouvelle fois au bain de sang comme en 2005. Si 2005 se reproduisait, il serait vraiment difficile à la France de saluer et de faire admettre « la victoire » de son poulain. Donc, elle va mettre une stratégie de casse de l'opposition en place. Pour atteindre cet objectif, on va utiliser certains togolais qui sans doute étaient de bonne foi. Ceux-ci croyaient qu'ils étaient en train de rallier les autorités françaises à la cause togolaise s'ils aidaient à empêcher la candidature de Gilchrist Olympio. Seulement, ils connaissaient très mal la françafrique et ses pratiques. On les a utilisés pour le vrai rôle qui leur était dévolu à l'insu de leur propre gré.

Lynx.info : Kofi Yamgnane parle de diplomatie offensive au niveau des institutions européennes. Vous semblez manifester à la J.U.D.A une méfiance vis à vis de la France officielle c’est ça ?

La France est un grave danger pour les Africains. Depuis des siècles, la France arme les tyrans pour immobiliser les Noirs. Lorsque la France ne veut pas directement les massacrer, elle délègue son autorité aux Oncles Tom tropicaux. Elle institue des dynasties un peu partout pour humilier notre peuple. Donc, ce pays, nous ne devons pas seulement avoir une méfiance à son égard. Nous devons le combattre, car c'est lui qui se cache derrière tous ces Oncles Tom et qui renverse ou assassine tous les patriotes africains. Mais pour le combattre, nous devons savoir de quoi il est capable, ce qu'il a fait dans ses territoires africains hier, ce qu'il y fait actuellement et ce qu'il y pourra faire demain. Nous devons tirer toutes les leçons de l'histoire pour ne pas commettre certaines des erreurs qui ont coûté la vie à beaucoup de nos leaders anticolonialistes. Sans cette étude méticuleuse qui va conditionner notre méthode de lutte, on est vaincu d'avance.

Pour ce qui est de M. Yamgnane, chacun aborde le monde tel qu'il le voie. Simplement, il faut que les Noirs enfoncent bien dans leur crâne que les Européens ne vont pas les aider à reprendre possession de leurs terres et de leur dignité volées depuis le 15è siècle. Les Noirs n'ont pas d'alliés dans le monde. Surtout pas les Européens. Toute notre histoire est là pour nous le démontrer. Si ceux qui prétendent vouloir diriger autrement l'Afrique demain ne l'ont pas encore compris, cela veut dire qu'on est loin du bout du tunnel. Il faut travailler avec notre peuple qui est le seul acteur à devoir changer le cours de son histoire. C'est pénible et très souvent ingrat comme activité au sein d'un peuple à qui on a présenté les choses dans l'ordre inverse, mais c'est l'unique voie. Il faut former notre peuple, l'organiser et tisser des liens entre lui et les autres Africains dans d'autres territoires afin de globaliser le combat.

Du reste, aurions-nous compris un peu le monde que nous orienterions ce qui est appelé diplomatie vers les peuples latino-américains. Parce que c'est là que les peuples se battent contre les mêmes phénomènes que rencontrent les Africains chez eux. Mais hélas, beaucoup d'Africains continuent par marcher à la lumière étourdissante de la bible, de Rousseau et de Montesquieu. Beaucoup de Noirs sont malheureux dès qu'ils ne s'illusionnent pas de l'amitié et de l'appui de l'Europe et de ses citoyens. Tant que cette attitude va perdurer, adieu le salut.

Lynx.info : Gilchrist Olympio a repris la direction de L’UFC et fait un contrat de société avec le RPT. Olympio peut réussir là où Blaise compaoré a échoué ?

La mission de Blaise Compaoré n'était pas de secourir le peuple africain du Togo. Bien au contraire, il avait mandat de l'enfoncer davantage au profit de son « jeune frère  et ami » qui lui avait offert deux hélicoptères et de l'argent pour sa campagne en novembre 2005. Et il l'a bien fait.

M. Olympio ne va nulle part. Si à plusieurs on est incapable de chasser le buffle, ce n'est pas en se mettant seul qu'on y arrivera. Pour tout vous dire, l'attitude de M. Olympio est politiquement nuisible. Car c'est une décision lourde de conséquence que de prétendre avoir négocié avec le RPT dans un contexte où l'instrument politique de M. Olympio était en proie à une division dont les ingrédients viennent justement du RPT et de la France. La démarche de M. Olympio aurait pu recevoir une adhésion populaire s'il n'agissait pas lui-même sous influence. Ce n'est pas un choix libre qu'il a fait. La France et le RPT ont poussé à l'implosion à l'UFC. Ils y ont créé deux fronts. Le centre du combat est, à partir de ce moment, déplacé et le conflit est transporté sur un terrain qui aurait dû être le camp d'entrainement commun. Au lieu de se rendre compte qu'il s'agissait d'un piège, qu'ils doivent tout faire pour ne pas se laisser prendre et sauvegarder l'unité de leur parti, les deux camps ont mordu.

C'est là qu'apparaît le déficit de formation des ressources humaines. Si on avait des analystes clairvoyants au sein de ce parti, ils auraient pu se rendre compte que cette division est factice. Q'elle est un montage et qu'il fallait la démonter tout de suite pour garder l'oeil ouvert sur la cible. La Françafrique a réussi un coup magistral. Les architectes de ce piège doivent se frotter les mains actuellement car, ils ont réussi à emprunter deux voies parallèles pour aboutir au même résultat et à avoir deux gros lots avec un bonus: Olympio qui est allé se mutiler tout seul – que du bonheur dans certains milieux, Faure Gnassingbe en paix – le conflit se faisant plus ailleurs -, Fabre qui doit s'occuper plus de la querelle interne à l'UFC que du vol du suffrage populaire par Faure Gnassingbe.

Lynx.info : Mais Gilchrist est toujours entrain de partir. Son âge, sa santé et sa nouvelle équipe sont des atouts de réussite pour lui ?

Non, dans les circonstances actuelles rien de tout ceci n'est le gage de quoi que ce soit. Ce qui se passe c'est que Gilchrist Olympio agit exactement comme le scenario l'a prévu. On lui fait jouer un rôle qu'il pouvait et devrait refuser d'accomplir. Encore qu'il en ait conscience dès le départ. Et c'est là qu'est tout le problème.

Lynx.info : Faites-vous confiance en la Commission Vérité Réconciliation de Monseigneur Barrigah à la J.U.D.A ?

Il n'y aura pas de réconciliation sous le régime actuel. Cette commission est un gadget. Mieux, c'est un cache-misère. Mais, souvent des hommes d'église aiment mettre de la soutane bien blanche sur des dessous sales. C'est au nez et à la barbe de M. Barrigah que des citoyens sont arrêtés, tabassés, emprisonnés sans la moindre accusation, brimés et spoliés. C'est en sa compagnie qu'on chante la réconciliation d'un côté et de l'autre on agit dans le sens contraire. Que dit cette commission? Rien! Elle ruse et ferme les yeux, la bouche et les oreilles comme ce singe trois fois idiot qui espérant vivre heureux refuse de voir, d'entendre et de s'exprimer. A vrai dire, elle est dans son rôle. Celui d'être là pour la décoration, car il faut bien qu'une tyrannie ait des décorations à vendre.

Lynx.info : Des députés sont frappés, les journalistes inquiétés mais l’homme de Dieu semble ne rien voir. Comment vous l’expliquez ?

Il n'y a pas des hommes de Dieu d'un côté, et des hommes du diable de l'autre. Nous sommes tous des humains avec nos intérêts, nos amitiés, nos peurs, nos égos, nos croyances et nos convictions. Chacun choisit de privilégier ce qu'il veut. Si la soutane que porte M. Barrigah suffit à le prendre pour un homme plus proche du Dieu d'Israël que des humains, alors ses compatriotes africains du Togo doivent comprendre son mutisme. Généralement, un prélat ne s'occupe pas des choses de ce monde. Il est formé au séminaire pour encourager les malheureux d'ici à accepter leurs conditions pour espérer aller au paradis. Vous voyez bien que les temps n'ont pas changé. Déjà à l'époque des razzias négrières et de la colonisation, les hommes dits de Dieu avaient pour mission d'évangéliser les Noirs, de leur apprendre à se laisser dépouiller sous prétexte qu'il sera difficile aux riches d'aller au paradis, leur apprendre l'obéissance au maître et leur expliquer qu'ils ne sortiront de la malédiction de Cham que par la porte de l'enfer de l'esclavage.

Lynx.info : Le pouvoir de Faure donne des airs de confiance. Comment vous l’expliquez ?

Quand on est au dos d'un tuteur puissant nommé la France, on peut tout se permettre face à un peuple dérouté et désarmé. La réalité est que Faure Gnassingbe et sa clique sont de seconds couteaux que la France utilise pour nous lacérer la peau. C'est la France qui commande dans les territoires appelés pays africains. La suffisance que démontre Faure Gnassingbe est l'expression de la présence française. Nous devons en tenir compte et nous donner tous les moyens les plus efficaces possibles pour la combattre. Néanmoins, beaucoup pensent souvent que ce déploiement de force est un signe de panique et donc de faiblesses de la part des tyrans africains. C'est une grossière erreur de jugement qui nous conduit souvent à accumuler des fautes, à nous forger des prétentions. Il nous faut une vraie analyse de la situation et de l'état réel des lieux des forces en présence. Car, ce n'est pas en étant droit dans nos bottes de rêveurs que nous faisons peur à ce système colonial.

Lynx.info : Pour beaucoup de Togolais vous faites des analyses qui ont été déjà expérimentées avec des résultats cuisants d’échec. Succinctement que proposez-vous pour la sortie de la crise politique togolaise ?

Il faut bien comprendre la nature de la crise qui est la nôtre puisque tout le monde dit crise, crise. Notre crise vient de ce que la lutte pour les indépendances africaines n'a pas abouti. Tous les meneurs ont été assassinés ou chassés et remplacés par des pions. Notre peuple a été court-circuité. Nous sommes donc en train de continuer le combat contre un système colonial. Ce qui veut dire que tout notre territoire et ses biens sont restés entre les mains de puissances étrangères qui ne lâchent pas prise. Leurs principales tactiques consistent à faire recours aussi bien à la force brute qu'à la ruse. C'est cela notre crise.

Face à cette donne, nous disons qu'il faut marcher sur deux pieds au moins. Concrètement, ce que nous avions proposé c'est que toute « l'opposition » togolaise après concertation et analyse approfondie de la situation post-électorale de mars 2010, décide dans un élan collectif d'aller dans un gouvernement pour prendre ce qu'il y a à prendre pour notre peuple et élargir son horizon. C'est un changement de stratégie qui, bien conduit par des hommes formés et conscients, peut transporter aussi le conflit au coeur des appareils du système. Au-delà, s'approcher de la cible peut conduire à commettre beaucoup d'autres actes à condition de les vouloir et de savoir comment et quand on veut les réaliser. Nous continuons par chercher dans les annales sans trouver l'époque à laquelle « l'opposition » au Togo a décidé dans son ensemble d'agir de la sorte. Ce que nous trouvons en revanche, c'est que le pouvoir, a réussi très souvent à débaucher des personnalités et organisations pour les noyer dans la baignoire du « gouvernement d'union nationale ». Ici, c'est le pouvoir qui fixe ses objectifs et prend l'initiative d'aller à la chasse dans les rangs de l'opposition. Ce que nous, nous disons, c'est que « l'opposition », dans la sérénité, établisse un bilan d'étape, tire les enseignements de son parcours puis prenne le devant des évènements. Il n'est pas question d'aller se coucher dans un gouvernement.

Lorsqu'on ne peut pas abattre d'un coup le système, la reconquête progressive d'espaces de liberté, d'espaces où l'influence du colonialisme est battue par la présence des hommes et femmes de notre camp nous semble une option. Dès qu'on met la main sur un secteur, il faut le retourner tout de suite au peuple, faire en sorte qu'il en jouisse pleinement, qu'il sache que quand il rentre dans les ministères ou dans n'importe quel service public sous notre contrôle, il sera servi convenablement, car il est chez lui. Et il doit se battre pour maintenir ces espaces définitivement libres. C'est une guerre de libération. Voilà ce que nous avions préconisé, mais nous ne nous étions pas arrêtés là. Nous avions formulé la nécessité de redéfinir la lutte, sachant les limites de cette première option, en la pensant plus sérieusement pour mieux l'organiser sur une triple temporalité - court, moyen et long termes - et vaincre.

Mais en amont et en aval de tout ceci, nous appelons enfin à un changement de comportements dans le camp des « combattants » miné par trop de querelles de bas étage, d'envie, de guerre de factions, de petits meurtres entre camarades et un climat de détestation. Car, se sont ces aspects subjectifs de la lutte qui déterminent, couvent et enfantent les éléments objectifs de la liberté. Nous devons mettre un accent particulier sur la formation des nôtres axée sur une vision globale de ce que nous entendons faire à savoir désintégrer le système colonial, bâtir une société fondée sur une nouvelle répartition du pouvoir, reconstruire notre pays, puis empêcher définitivement le retour à tout régime dictatorial.

Pour le reste et si ça peut soulager, on peut continuer par se contenter d'être dans une opposition qui passe son temps à prier le Dieu d'Israël, à être dans la description du régime, à dire et redire qu'il se déploie dans la violence, à pleurer qu'il ne respecte pas les droits de l'homme. Comme s'il pouvait en être autrement dans un territoire sous colonialisme.

Lynx.info : Rodrigue Komla Kpogli, je vous remercie.

C'est nous qui vous disons merci.

Interview réalisée par Camus Ali

Le 04 septembre 2010

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