Komla KPOGLI
06 juin 2012
Dans les écoles de communication, il est bien connu que la meilleure
propagande est celle qu’on se fait à soi. Il est bien connu aussi que pour bien
vendre un produit, il faut communiquer intensément autour de lui. Ces
assertions sont en train d’être vérifiées, une nouvelle fois, en terre
africaine où se déploie actuellement un gigantesque marathon visant à y
implanter des médias. Surtout, la télévision. L’image étant le moyen le plus
évident de convaincre.
Après l’enracinement des médias tels que BBC (British Broadcasting
Corporation), VOA (Voice of America), RFI (Radio France Internationale), DW (Deutsche
Welle), CNN...renforcés par CCTV-F (Télévision chinoise en Français), France 24 qui
sont parfois plus connus en Afrique que dans les pays d’où ces radios et télévisions
émettent, voici venu l’heure de Al Qarra TV, Al Jezeera qui investissent la
place.
Pour ceux qui doutent, le dispositif médiatique est l’un des meilleurs
outils du Soft Power, puissance d’influence, qu’un pays, un groupe commercial,
un acteur socio-politique et idéologique puisse déployer pour atteindre ses
objectifs au moindre coût possible. Capacité d’atteindre une masse, capacité de
faire adhérer à une cause, capacité de répéter un message et le faire entrer
dans les cerveaux, capacité de transformer le vrai en faux et le faux en vrai,
capacité de fidéliser un groupe d’hommes. Voilà quelques-unes des forces des
médias.
Pendant que le sommeil se prolonge sous les tropiques, à pas masqués et
prétendant la volonté d’informer les populations africaines – l’information
étant un outil de guerre et la laisser entre les mains étrangères est plus que dangereuse
– des détenteurs de capitaux et des groupes d’intérêts divers et variés sont en
train de tisser leur toile médiatique autour de l’Afrique. Les tout premiers à
avoir compris qu’il fallait prendre les Africains en étau, les dresser, leur
labourer la tête pour les paralyser aussi bien dans la réflexion que dans
l’action, les piller sans qu’ils s’en rendent compte sont les occidentaux. Avec
BBC, RFI, DW, VOA, CNN, les agences Associated Press (USA), Reuters
(Angleterre), AFP (France)…ils ont garanti des contacts avec les populations.
Ils ont noué entre ces populations et leurs pays ainsi que les entreprises
multinationales qu’ils servent des liens quasi indéboulonnables.
Ces médias ont toujours présenté l’Afrique comme une terre misérable,
minée par des conflits fratricides et ethniques, pauvre et demandant
éternellement l’aide d’un Occident généreux, bienfaisant et bon samaritain
pendant que les richesses africaines sont drainées vers l’étranger. Ces médias ont
installé dans le décor africain l’Occident, ses intérêts, ses vues, ses désirs,
ses projets, ses hommes. Cette présence est présentée comme normale, légitime
puisque purement humanitaire. Il en est ainsi de la présence des bases
militaires françaises en Afrique qui y seraient rien que pour « sauver les
africains et empêcher des guerres ethniques ». « L’ethnie »
serait la mesure de toute chose en Afrique, selon les spécialistes médiatiques
occidentaux. Des militaires britanniques envoyés de temps à autre dans tel ou
tel pays, comme ce fut le cas en Sierra Léone et plus récemment en Somalie
serait tout aussi des missions humanitaires. Les Etats-Unis d’Amérique qui
déploient actuellement leur outil militaire Africom seraient eux aussi en train
de s’installer en Afrique pour permettre aux Africains de vivre en sécurité et
de ne plus se faire des guerres entre eux. Eux qui se sont « tant battus les uns contre les autres et
souvent tant haïs, qui parfois se combattent et se haïssent encore mais qui
pourtant se reconnaissent comme frères» disait Sarkozy
dans le portrait qu’il fit de l’homme africain à Dakar.
Ailleurs, l’Occident défend ses intérêts. En Afrique, il est en mission
humanitaire. Il n’y est que, parce qu’épris d’amour pour l’homme noir qu’il a tant
aimé au point de l’avoir mis dans les fers de l’esclavage et de la colonisation,
pour l’aider au développement. Et cela lui coûte d’ailleurs des sommes
colossales, nous apprend-on dans ces médias. Ainsi donc inversé, et cette
inversion répétée à l’infini, le rôle de l’Afrique dans l’économie mondiale est
celui d’une terre qui n’a rien et à qui de bonnes âmes donnent tout. Pourtant
les fameux « explorateurs » et « découvreurs » au XVIIIè
siècle déjà la trouvaient immensément riche. Où sont donc passées les richesses
qu’ils décrivaient dans leurs récits de voyage pour que l’Afrique soit
devenue si « pauvre » qu’elle ne doive sa survie qu’à
« l’aide » ?
Considérant l’Afrique comme son domaine réservé qu’il aide en le pillant,
l’Occident voit d’un mauvais œil les incursions des autres sur ses terres. Le
cas le plus patent est celui de la Chine qui, en pleine croissance, vient
chercher ses ressources manquantes en Afrique, éternel continent à partager et
à repartager entre puissances d’hier et celles naissantes. Confrontée donc aux
tentatives d’empêchement et de « déstabilisation » des premières, la
Chine définit une stratégie médiatique sur deux fronts en Afrique. Il s’agit de construire et de polir son image
à travers les médias qu’elle pilote elle-même et de joindre dans le même temps
des journalistes africains à cette entreprise.
Sur le premier registre, la Chine a lancé depuis le 11 janvier 2012 sa
section Afrique de la CCTV émettant depuis Nairobi au Kenya. CCTV Africa
projette ouvrir 14 bureaux locaux dans différents territoires africains.
Réduite pour le moment à 02 heures d’émission par jour, la CCTV Africa compte
d’ici 2015 émettre 24 heures 24. Outre la chaîne de télévision, la Chine
déploie son agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) qui dispose déjà de plus
de 150 correspondants dans toute l’Afrique.
Sur le second plan, la Chine, consciente que pour mieux évangéliser un
peuple il faut associer des indigènes au projet, recrute et forme des
journalistes africains. Visitant
le 21 avril 2011 le Kenya, Li Changchun, membre du comité permanent du
bureau politique du comité central du PCC, affirmait que la Chine a formé 208
journalistes et patrons de médias africains entre 2004 et 2010. La tactique de
la formation des journalistes africains continue de faire son œuvre. La guerre
psychologique est donc engagée par la Chine au travers des Africains pour
rassurer les Africains et rejeter le plus loin possible l’influence occidentale
dans les territoires africains. Les pays occidentaux sont eux-mêmes des adeptes
de cette stratégie qui repère des journalistes locaux, leur attribue des
bourses pour la formation, les invite dans leurs ambassades pour leur offrir
des amuse-gueule lors de ce qu’on appelle des séminaires de formation. En la
matière donc la Chine ne fait que copier ses prédécesseurs.
Ainsi donc la combinaison de ces deux
stratégies portées par le slogan de « Gagnant-gagnant » vanté par la
Chine et incorporé aujourd’hui dans le vocabulaire africain, la Chine a plutôt
bonne presse en Afrique. Son image polie passe mieux que celles des
Occidentaux. Des « intellectuels » africains n’hésitent pas asséner à
longueur d’articles ou de commentaires que la Chine est la seule et vraie
« partenaire » que l’Afrique dispose. On cite le développement
chinois en modèle sans jamais mentionner qu’il fut précédé de plusieurs
révolutions sanglantes qui avaient détruit le règne des colons et leurs
suppôts, et qui avaient ramené la Chine à ses racines culturelles. Les liens
que Chine a avec l’Afrique sont présentés comme salvateurs pour une Afrique
détruite par l’exploitation occidentale. Sans Etats en Afrique, avec des
territoires dirigés par des pions et des individus sans foi ni loi, il y a toujours
des « intellectuels » africains qui trouvent que le peuple africain
profite de ces relations dont la principale caractéristique est de donner des
contrats miniers et des contrats de construction d’infrastructures (et quelles
infrastructures ?) aux chinois. Sans Etat, avec des dictateurs corrompus
et assassins des africains qu’ils régentent parce que s’opposant à eux, qui va
défendre les intérêts de l’Afrique, l’Afrique de la base et non du sommet en
coupure totale avec celle-ci ? Comment peut-on penser intérêt du peuple en
étant son plus fervent opposant ?
A la veille du
Forum de Pékin (Beijing) en 2006, les autorités chinoises invitèrent 23
journalistes de 16 pays d’Afrique francophone afin de leur permettre de « vivre les
réalités de la République populaire de Chine comme des témoins privilégiés de
la transformation d’un pays par la magie du travail. » Ces journalistes
missionnaires originaires du Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Congo (RDC),
Djibouti, Gabon, Guinée-Conakry, Madagascar, Mali, Maurice, Niger, Seychelles,
Tchad, Togo et des Comores, avaient été conduits dans des villes symboles et
douchés dans le bain chinois durant leur séjour du 16 au 26 septembre 2006. Suite
à ce forum, un plan d’action a été
publié. Dans ce plan d’action de Beijing (2007-2009) Pékin annonçait sa
décision d’aider les pays africains à former le personnel des radio-télévisions
et à « inviter des responsables et des autorités de la presse et des groupes
de médias, ainsi que des journalistes africains, à venir en Chine pour
échanger des vues, faire des reportages et explorer des modalités de
coopération efficaces. » Une fois rentrés dans leur territoire respectif,
la prédication laudatrice en faveur de la Chine peut commencer. A côté de ce
dispositif médiatique, sans cesse renforcé par des bourses et autres dons
chinois, Pékin fonde des Instituts Confucius partout dans les universités
africaines et attire par des bourses des étudiants africains qui devront
séjourner en Chine et revenir en Afrique y apporter l’amour de la Chine et y
défendre ses intérêts.
L’offensive médiatique en Afrique ne se
limite à ces seuls pays. Le Qatar déjà propriétaire des terres fertiles en
Afrique arrive avec son Al-Jezeera. En février 2012, le pays lançait à Nairobi
au Kenya Al Jezeera en Swahili avec un potentiel de 100 millions de
téléspectateurs. Dans un article publié
le 28 mai 2012 par Georges Malbrunot et Paule Gonrales du Figaro nous informent
que Al-Jezeera serait en train de réfléchir sur le lancement d’une version
française qui sera basée à Dakar dans le territoire du Sénégal. Plus loin dans
cet article, on apprend que le choix de Dakar est fait par le Qatar non
seulement parce que «Al-Jazeera sera beaucoup plus
libre de s'affranchir de certaines contraintes au Sénégal qu'à Paris», mais
aussi parce que le Qatar est à la recherche d’une influence politique et entend
par là contester la domination française dans la région. C’est dire combien
l’Afrique est une proie discutée pendant que ses populations assommées par les
pillages de toute sorte sont dans un sommeil comateux.
Au-dela, prétendant condamner la diffusion d’images misérabilistes sur
l’Afrique par d’autres médias, un groupe d’hommes menés par le tunisien Najib Gouiaa et le français Pierre
Fauque financé par une banque dont Najib Gouiaa tait le nom, a créé Al Qarra
TV. Sa rédaction permanente est basée à Paris et elle fait de l’information
toute en images avec un réseau de correspondants en Afrique. On apprend par la
voie de Najib Gouiaa que Al Qarra disponible pour le moment en Arabe, en
Anglais et en Français, est en train de travailler sur « d’autres versions
linguistiques du continent ». Cette télévision qui, selon l’aveu de son
directeur Najib Gouiaa, reçoit 80% de ses images des agences Associated
Press, Reuters et l’AFP et d’indépendants est suivie pour le moment massivement par les « cadres » et des
« acteurs économiques et politiques ».
Comme on peut le voir, chacun active son Soft Power pour
parvenir à ses fins en Afrique. En montrant notre incapacité à reconquérir
notre espace et à l’occuper effectivement, nous avons laissé la terre
africaine, ses richesses et son peuple à la merci de tous les vents et de tous
les intérêts. Nous avons laissé notre espace territorial libre et à ce titre,
il n’est que justice que d’autres viennent l’investir avec leurs idées et les
produits. C’est dire combien le réveil sera lent et douloureux car, les
résultats du Soft Power qui installe dans les cerveaux des croyances et des
opinions difficilement modifiables sont les plus efficaces. En secrétant et en
répétant à longueur de journées, des idées pour servir leurs intérêts divers et
variés, ces médias fabriquent et conditionnent l’opinion africaine. Ils peuvent
grâce à leur pouvoir de manipulation à grande échelle renverser des pouvoirs
indésirables ou plonger les populations dans une léthargie assurant la plus
grande stabilité à une tyrannie obséquieuse et docile. On a vu d’ailleurs de
quoi France 24, RFI, BBC, CNN, VOA, DW ont été capables sur la Côte d’Ivoire.
On a vu de quoi a été capable Al Jezeera sur la Libye avec des images
hollywoodiennes de massacre de populations civiles par les hommes de Kadhafi
tournées dans ses studios à Qatar. On vu combien France 24, BBC, CNN…ont été
capables de fabriquer l’opinion aussi bien dans leur pays respectif que dans les
pays désignés à subir des guerres humanitaires de l’Occident.
Il est donc nécessaire que les milieux de combat
pour une autre Afrique intègrent dans leurs réflexions la question des médias.
Par quel canal et comment, dans cette bataille satellitaire qui se mène sur le
continent, arriver à parler aux Africains pour faire passer le message de la
nécessité de renverser le désordre organisé imposé comme un ordre établi en
Afrique ? Par quel canal démontrer aux Africains que leur seul et unique
allié dans le monde est eux-mêmes ? Par quel canal et comment faire adhérer les Africains à
la réalité selon laquelle la construction de véritables Etats dirigés par des
hommes ayant le devoir de rendre compte de leurs actions précède toute idée de
coopération? Par quel canal prouver aux Africains que les relations
internationales sont fondées sur les logiques de puissance et d’intérêts alors
qu’on leur vend l’opinion qu’elles sont l’œuvre de la paix et des fameux droits
de l’homme ? Par quel canal remettre les valeurs africaines au centre des
préoccupations à l’heure où toute sorte de cultes investit l’Afrique et coupe les
Africains de leurs capacités créatrices les plus intrinsèques ? Ce ne sont
pas les satrapes africains, ces contremaîtres rétribués au prorata du travail
servile fourni par les Africains sous leur surveillance sanglante qui
réfléchiront sur ces questions d’enjeux majeurs. Ils sont satisfaits de leurs
parts dans le système. Ils n’ont rien à foutre du reste.
Toutes ces questions méritent de sérieuses
discussions dans ces milieux. En laissant les Africains être informés et formés
(au journalisme notamment) par les autres, disons plutôt déformés par les
autres, on donne à ceux-ci le droit de les programmer contre eux-mêmes, contre
toute l’Afrique et son avenir.
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