S'il doit y avoir un peuple sur terre qui dorme le moins et pour qui le rassemblement agissant devrait être la priorité des priorités, c'est bien nous, Africains. Au moment même où la conquête se renforce, au moment même où de nouveaux envahisseurs, par des alliances de toute sorte ou par confrontation directe dont les africains sont les seuls victimes, travaillent leurs outils, peaufinent leurs plans et agissent aussi bien par ruse que par violence, nous continuons par nous complaire dans les divisions les plus improductives fondées sur nos identités coloniales que nous chérissons tant. Africain de Côte d'Ivoire dit que ce qui se passe dans ce territoire ne regarde que lui, africain du Togo estime qu'un africain d'Ouganda ne connaissant pas les réalités de ce territoire n'a rien à y voir, africain de Centrafrique considère qu'un compatriote du Mali ne doit pas se mêler des affaires de ce territoire car il n'est pas le sien. Un nationalisme colonial, un souverainisme vaniteux, creux et suicidaire dont l'unique mérite consiste à prolonger notre domination collective. Fierté coloniale! Orgueil de l'ignorant!
En plus de tout ceci, nous refusons toujours, ou à tout le moins, nous hésitons à intégrer des structures organisées et à y travailler sincèrement.
Un peuple dispersé, désorganisé et travaillant contre lui-même n'excelle en rien si ce n'est en matière d'usurpation d'identité. Usurpateurs d'identité! Après s'être attribués le titre de "peuple de Dieu" dont la souffrance serait le signe même de l'Amour divin, contestant voire retirant ce titre ainsi aux Hébreux, nous voici "citoyens du monde". Incapables de nous former autrement, incapables de nous organiser, incapables de reconquérir notre espace pour le reconstruire à l'aune de notre histoire et de nos besoins, voici donc que nous nous disons français; nous nous déclarons suisses. Nous nous proclamons, toute honte bue, britanniques. Nous commençons déjà par nous proclamer Chinois ou tout au moins leurs "amis" et nous implorons la tutelle d'une Chine appelée, selon beaucoup d'africains, à construire l'Afrique pour nous contre les insupportables Occidentaux. Voici que l'africain se prend en photos dans les rues parisiennes, bruxelloises ou new-yorkaises en proclamant qu'il est chez lui. "Chez nous en France", "chez nous en Suisse", "chez nous à Washington", "chez nous à Pékin", voilà quelques-unes des incantations que le noir s'administre et professe et qui suscitent un rire que, par souci d'image, l'autochtone évite d'exprimer publiquement.
A cette allure, nul doute que nos douleurs vont durer encore plus longtemps et nous nous contenterons toujours de briller dans l'usurpation d'identités ou de nous plaindre en rangs dispersés voire dans la solitude. Il n'y a pas plus grand danger pour nous.
Quand les loups chassent en meutes, avancer en rangs dispersés ou en agneau solitaire signifie la mort.
Komla KPOGLI
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