Komla KPOGLI
MOLTRA
Web. http://lajuda.blogspot.com
Gnassingbé 2 et son premier ministre démissionnaire Houngbo. |
Pour celui qui ne connaît
que moyennement ou pas du tout le fonctionnement du système, la démission ou le
limogeage (peu importe ce qu’on veut faire dire à cet acte) de Gilbert Houngbo,
le premier ministre de Faure Gnassingbé, est une victoire qui traduit une crise
au « sommet de l’Etat togolais.» Quand bien même, il y aurait beaucoup à
dire sur la réalité d’un Etat dans le territoire du Togo, disons simplement que
cette lecture est d’un optimisme exagéré. L’optimisme en soi, lorsqu’on combat
une tyrannie, n’est pas une mauvaise chose. Mais lorsqu’il ne traduit qu’une
croyance infondée, un enthousiasme qui ne tient pas compte de l’effort à
fournir pour atteindre l’objectif, la catastrophe n’est pas loin. Cette
lecture, donc, qui veut percevoir dans cette démission une victoire, signe d’une
certaine sensibilité de la part du régime franco-Gnassingbé est d’un optimisme
qu’une réflexion en profondeur trahit.
C’est une chose bien connue
que l’action politique, a fortiori celle dans un contexte de lutte pour la
libération, est fondée sur une analyse approfondie et que quiconque veut
s’inscrire dans l’action en cernant mal les données frappe toujours à côté,
galvaudant ainsi l’énergie qu’il déploie. Celui qui sait analyser le problème
et qui sait utiliser les moyens – violents ou pacifiques – qu’il a à sa
disposition détient une longueur d’avance sur ses adversaires. Celui-ci est
logiquement le maître du jeu. C’est lui qui dicte le tempo et pousse son ou ses
adversaires à être dans la réaction et non à être dans l’initiative. Fort de ce
principe, Faure Gnassingbé et ses services, maîtrisant parfaitement les moyens
de la violence, ont manifestement analysé froidement la situation actuelle et
ont décidé, après réflexion, de jouer une carte majeure en attendant les
fameuses législatives de novembre prochain : démissionner ce qui est
appelé le gouvernement. Là apparaît la ruse qui est le second outil dont se
sert le système colonial mis à part la violence.
L’opération est présentée
par le régime franco-Gnassingbé lui-même comme un acte se situant « exclusivement
dans le cadre de la nouvelle dynamique que le Chef de l’Etat entend insuffler
au dialogue politique. » Laquelle dynamique, selon
les termes mêmes de la fameuse mise au point lue à la télévision togolaise et
largement diffusée par d’autres canaux, « vise dans un souci d’ouverture et de
cohésion nationale, à associer à la gestion des affaires publiques, l’ensemble
des forces vives et des courants représentant la classe politique
togolaise. L’objectif poursuivi est donc de permettre à ceux qui le souhaitent
d’apporter leur contribution à la construction nationale, en prenant une part
active à la préparation des prochaines échéances électorales dans un climat
consensuel et apaisé. »
On
a tenté dans certains milieux d’expliquer le « communiqué conjoint de la
présidence et de la primature » qui démentait toute divergence entre
Houngbo et Gnassingbé II comme le signe même de « la panique », de
« la confusion » voire de « la crise » entre le tandem dont
l’un serait modéré dans le mal et l’autre radical. Il n’en est rien à bien
observer les choses. En élaborant ce communiqué et en le faisant présenter à la
télévision par deux individus arborant les accents dignes des bouffons du roi, le
régime franco-Gnassingbé veut se donner l’image d’un gouvernement moderne qui
communique et explique ses choix et décisions à ses administrés perdus par diverses
interprétations journalistiques voire incantatoires qui traversent le pays. Le
régime se pare ainsi du manteau d’une institution qui coupe court aux rumeurs
en informant et en apportant des éclairages qui, en fait, renforcent
l’obscurité dont il est le créateur.
Gnassingbé
II et ses conseillers piègent, par leur manœuvre, ce qu’on appelle l’opposition
au Togo. En démissionnant l’équipe Houngbo, le régime a procédé en deux temps.
D’abord, il n’a pas motivé cette démission, laissant ainsi les commentateurs et
autres milieux politiques contestataires se livrer à des tentatives de
décodage. Chacun alla de son analyse allant de « non-événement » à
« l’effet des manifestations en cours dans le pays », de
l’indifférence à l’enthousiasme qui voyait la crise atteindre le sommet.
Ensuite, le régime a repris la machine de propagande pour fournir une
explication laconique et surtout axée sur la négation d’une divergence de vue
entre ce que les communicants de circonstance à la télévision togolaise ont
appelé la présidence de la République et la primature. Puis, dans un troisième
temps qui est la phase décisive, le régime invite « l’ensemble de la
classe politique et les acteurs de la société civile » à des consultations
devant aboutir à la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale -
l’ancienne équipe pouvant être reconduite avec s’il le faut quelques légères
retouches - dont la mission essentielle sera d’organiser les élections
législatives avec des textes électoraux et un système de découpage viciés et verrouillés
en amont. Tout le monde aura compris que cet appel à discuter vise d’abord les
groupes contestataires de la tyrannie franco-togolaise, car les acteurs qui
sont en dehors de ce cercle sont prêts à toute heure à se rendre chez celui
qu’ils appellent le chef de l’Etat sans même que celui-ci les y invitent. Ces
derniers sont des « dialogueurs » professionnels. Eux ne sont pas un
problème. Ce ne sont pas eux la cible.
La
manœuvre, probablement conseillée par les parrains de la tyrannie des Gnassingbé,
est redoutable dans sa finalité. Car, elle conduit à un double piège. Entre les
deux options, il n’y a pas d’alternative, quand on analyse les choses en
profondeur. Choisir une voie c’est choisir le résultat inverse. Ainsi, si les
« opposants » participent aux consultations et adhèrent au futur
« gouvernement », ils iront juste pour voir se réaliser avec leurs
mains, leur concours, un nouveau vol du suffrage sachant que le dispositif de
la fraude est déjà en place avec un code électoral et un redécoupage taillés
sur mesure. Dans ce cas et c’est ce qui arrivera probablement, si les
« opposants » se montrent critiquent au lendemain de ce nouveau
braquage du suffrage populaire, le régime, les nouveaux cooptés désignés sous
le vocable d’élus et leurs alliés internationaux tenteront de décrédibiliser
les critiques des « opposants » en alléguant que les élections furent
organisées en leur présence, par un gouvernement auquel ils avaient pris part
et que, par conséquent, décrier ces législatives organisées par un gouvernement
auquel ils avaient participé est une inconséquence totale. Une campagne de
décrédibilisation intensive taisant tout ce qui a été fait en amont sera
entamée aussi bien à l’intérieur du territoire togolais qu’à l’extérieur,
présentant cette « opposition » comme incohérente et ne sachant pas
exactement ce qu’elle veut.
Dans
le cas contraire, si les « opposants » refusent d’aller aux
consultations et donc logiquement refusent d’entrer dans ce gouvernement qui
sera, de toutes les façons, formé, on leur opposera demain l’argument selon
lequel ils avaient été conviés à participer au gouvernement chargé de l’organisation
du scrutin alors querellé et qu’ils avaient refusé. On leur dira que s’ils y
avaient participé, les choses auraient été différentes et ils auraient pu
« limiter les dégâts ». Les « opposants » seraient donc
indexés comme les victimes de leur propre opposition. On ressortira du placard
le précédent de la fameuse « politique de la chaise vide » pratiquée
par la même « opposition » qui, par son absence à l’Assemblée
nationale entre 1998-2003, aurait favorisé la modification de la Constitution
par le RPT permettant ainsi à Gnassingbé 1er de s’offrir une
présidence à vie. Ce nouveau refus, somme toute légitime, qui peut déboucher
sur un boycott (compréhensible) de « l’opposition » aux prochaines
mascarades législatives va servir de justificatif à tout ce qui va suivre au
Togo, la puissance militaro-policière constamment activée.
C’est
dire donc qu’à tous les coups donc, le régime franco-rptiste sort gagnant. En
verrouillant le processus en amont, ce régime s’est assuré une sortie glorieuse
quelque soit la position de « l’opposition » entre ces deux voies. A
moins que celle-ci joue sa propre carte sur fond de sa stratégie propre, avec
son agenda propre et des moyens qu’elle saura se donner. Ici se pose une
nouvelle fois la question de savoir si cette « opposition » dispose
de la capacité psychologique et des armes physiques pour un combat frontal, ou
si elle est capable de « jouer au simple mais non au fol » ou de « s’allier
au lointain pour attaquer le voisin », ou encore de conjuguer
simultanément la stratégie du chaud et du froid face à un système dont
Gnassingbé II et ses acolytes civilo-militaires ne sont que des tenants locaux
et immédiatement visibles.
Il
s’agira d’être capable de maîtriser le camp adverse, sa stratégie, ses
tactiques, son mode opératoire, son commandement, ses centres de pouvoir et de
décision, ses alliés objectifs et subjectifs, bref de disposer sur lui une
vision globale, puis d’élaborer les outils appropriés pour directement ou
indirectement (ou conjuguer les deux à la fois) contrecarrer ceux du camp
d’en-face, les neutraliser, les retourner si possible et les aliéner si
nécessaire. Il s’agira aussi pour « l’opposition » de se scruter, de
se soumettre elle-même au scanner de la réalité, de sa réalité et des objectifs
voulus, d’identifier ses forces, ses faiblesses, ses alliés, ses tactiques pour
réorganiser la marche avec une répartition responsable de tâches et pour instaurer
en son sein une discipline devant lui permettre de tirer un maximum du minimum
dont elle dispose. Ceci suppose qu’elle mette sur pied une vraie cellule de
réflexion dont la mission sera de nourrir la volonté et le courage et leur
donner la puissance attendue en les orientant vers des cibles bien visées.
Cette
troisième voie permettra, si elle est maîtrisée, à ce qu’on appelle
l’opposition togolaise de faire échouer le double piège qui se trouve au bout
de la démission organisée de l’équipe Houngbo.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire