lundi 16 juillet 2012

Togo: le double piège d'une démission gouvernementale organisée.

16 juillet 2012 
Komla KPOGLI
MOLTRA
Web. http://lajuda.blogspot.com 


Gnassingbé 2 et son premier ministre démissionnaire Houngbo.

Pour celui qui ne connaît que moyennement ou pas du tout le fonctionnement du système, la démission ou le limogeage (peu importe ce qu’on veut faire dire à cet acte) de Gilbert Houngbo, le premier ministre de Faure Gnassingbé, est une victoire qui traduit une crise au « sommet de l’Etat togolais.» Quand bien même, il y aurait beaucoup à dire sur la réalité d’un Etat dans le territoire du Togo, disons simplement que cette lecture est d’un optimisme exagéré. L’optimisme en soi, lorsqu’on combat une tyrannie, n’est pas une mauvaise chose. Mais lorsqu’il ne traduit qu’une croyance infondée, un enthousiasme qui ne tient pas compte de l’effort à fournir pour atteindre l’objectif, la catastrophe n’est pas loin. Cette lecture, donc, qui veut percevoir dans cette démission une victoire, signe d’une certaine sensibilité de la part du régime franco-Gnassingbé est d’un optimisme qu’une réflexion en profondeur trahit.

C’est une chose bien connue que l’action politique, a fortiori celle dans un contexte de lutte pour la libération, est fondée sur une analyse approfondie et que quiconque veut s’inscrire dans l’action en cernant mal les données frappe toujours à côté, galvaudant ainsi l’énergie qu’il déploie. Celui qui sait analyser le problème et qui sait utiliser les moyens – violents ou pacifiques – qu’il a à sa disposition détient une longueur d’avance sur ses adversaires. Celui-ci est logiquement le maître du jeu. C’est lui qui dicte le tempo et pousse son ou ses adversaires à être dans la réaction et non à être dans l’initiative. Fort de ce principe, Faure Gnassingbé et ses services, maîtrisant parfaitement les moyens de la violence, ont manifestement analysé froidement la situation actuelle et ont décidé, après réflexion, de jouer une carte majeure en attendant les fameuses législatives de novembre prochain : démissionner ce qui est appelé le gouvernement. Là apparaît la ruse qui est le second outil dont se sert le système colonial mis à part la violence.

L’opération est présentée par le régime franco-Gnassingbé lui-même comme un acte se situant « exclusivement dans le cadre de la nouvelle dynamique que le Chef de l’Etat entend insuffler au dialogue politique. » Laquelle dynamique, selon les termes mêmes de la fameuse mise au point lue à la télévision togolaise et largement diffusée par d’autres canaux, « vise dans un souci d’ouverture et de cohésion nationale, à associer à la gestion des affaires publiques, l’ensemble des forces vives et des courants représentant la classe  politique togolaise. L’objectif poursuivi est donc de permettre à ceux qui le souhaitent d’apporter leur contribution à la construction nationale, en prenant une part active à la préparation des prochaines échéances électorales dans un climat consensuel et apaisé. »

On a tenté dans certains milieux d’expliquer le « communiqué conjoint de la présidence et de la primature » qui démentait toute divergence entre Houngbo et Gnassingbé II comme le signe même de « la panique », de « la confusion » voire de « la crise » entre le tandem dont l’un serait modéré dans le mal et l’autre radical. Il n’en est rien à bien observer les choses. En élaborant ce communiqué et en le faisant présenter à la télévision par deux individus arborant les accents dignes des bouffons du roi, le régime franco-Gnassingbé veut se donner l’image d’un gouvernement moderne qui communique et explique ses choix et décisions à ses administrés perdus par diverses interprétations journalistiques voire incantatoires qui traversent le pays. Le régime se pare ainsi du manteau d’une institution qui coupe court aux rumeurs en informant et en apportant des éclairages qui, en fait, renforcent l’obscurité dont il est le créateur.

Gnassingbé II et ses conseillers piègent, par leur manœuvre, ce qu’on appelle l’opposition au Togo. En démissionnant l’équipe Houngbo, le régime a procédé en deux temps. D’abord, il n’a pas motivé cette démission, laissant ainsi les commentateurs et autres milieux politiques contestataires se livrer à des tentatives de décodage. Chacun alla de son analyse allant de « non-événement » à « l’effet des manifestations en cours dans le pays », de l’indifférence à l’enthousiasme qui voyait la crise atteindre le sommet. Ensuite, le régime a repris la machine de propagande pour fournir une explication laconique et surtout axée sur la négation d’une divergence de vue entre ce que les communicants de circonstance à la télévision togolaise ont appelé la présidence de la République et la primature. Puis, dans un troisième temps qui est la phase décisive, le régime invite « l’ensemble de la classe politique et les acteurs de la société civile » à des consultations devant aboutir à la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale - l’ancienne équipe pouvant être reconduite avec s’il le faut quelques légères retouches - dont la mission essentielle sera d’organiser les élections législatives avec des textes électoraux et un système de découpage viciés et verrouillés en amont. Tout le monde aura compris que cet appel à discuter vise d’abord les groupes contestataires de la tyrannie franco-togolaise, car les acteurs qui sont en dehors de ce cercle sont prêts à toute heure à se rendre chez celui qu’ils appellent le chef de l’Etat sans même que celui-ci les y invitent. Ces derniers sont des « dialogueurs » professionnels. Eux ne sont pas un problème. Ce ne sont pas eux la cible.

La manœuvre, probablement conseillée par les parrains de la tyrannie des Gnassingbé, est redoutable dans sa finalité. Car, elle conduit à un double piège. Entre les deux options, il n’y a pas d’alternative, quand on analyse les choses en profondeur. Choisir une voie c’est choisir le résultat inverse. Ainsi, si les « opposants » participent aux consultations et adhèrent au futur « gouvernement », ils iront juste pour voir se réaliser avec leurs mains, leur concours, un nouveau vol du suffrage sachant que le dispositif de la fraude est déjà en place avec un code électoral et un redécoupage taillés sur mesure. Dans ce cas et c’est ce qui arrivera probablement, si les « opposants » se montrent critiquent au lendemain de ce nouveau braquage du suffrage populaire, le régime, les nouveaux cooptés désignés sous le vocable d’élus et leurs alliés internationaux tenteront de décrédibiliser les critiques des « opposants » en alléguant que les élections furent organisées en leur présence, par un gouvernement auquel ils avaient pris part et que, par conséquent, décrier ces législatives organisées par un gouvernement auquel ils avaient participé est une inconséquence totale. Une campagne de décrédibilisation intensive taisant tout ce qui a été fait en amont sera entamée aussi bien à l’intérieur du territoire togolais qu’à l’extérieur, présentant cette « opposition » comme incohérente et ne sachant pas exactement ce qu’elle veut.

Dans le cas contraire, si les « opposants » refusent d’aller aux consultations et donc logiquement refusent d’entrer dans ce gouvernement qui sera, de toutes les façons, formé, on leur opposera demain l’argument selon lequel ils avaient été conviés à participer au gouvernement chargé de l’organisation du scrutin alors querellé et qu’ils avaient refusé. On leur dira que s’ils y avaient participé, les choses auraient été différentes et ils auraient pu « limiter les dégâts ». Les « opposants » seraient donc indexés comme les victimes de leur propre opposition. On ressortira du placard le précédent de la fameuse « politique de la chaise vide » pratiquée par la même « opposition » qui, par son absence à l’Assemblée nationale entre 1998-2003, aurait favorisé la modification de la Constitution par le RPT permettant ainsi à Gnassingbé 1er de s’offrir une présidence à vie. Ce nouveau refus, somme toute légitime, qui peut déboucher sur un boycott (compréhensible) de « l’opposition » aux prochaines mascarades législatives va servir de justificatif à tout ce qui va suivre au Togo, la puissance militaro-policière constamment activée.

C’est dire donc qu’à tous les coups donc, le régime franco-rptiste sort gagnant. En verrouillant le processus en amont, ce régime s’est assuré une sortie glorieuse quelque soit la position de « l’opposition » entre ces deux voies. A moins que celle-ci joue sa propre carte sur fond de sa stratégie propre, avec son agenda propre et des moyens qu’elle saura se donner. Ici se pose une nouvelle fois la question de savoir si cette « opposition » dispose de la capacité psychologique et des armes physiques pour un combat frontal, ou si elle est capable de « jouer au simple mais non au fol » ou de « s’allier au lointain pour attaquer le voisin », ou encore de conjuguer simultanément la stratégie du chaud et du froid face à un système dont Gnassingbé II et ses acolytes civilo-militaires ne sont que des tenants locaux et immédiatement visibles.

Il s’agira d’être capable de maîtriser le camp adverse, sa stratégie, ses tactiques, son mode opératoire, son commandement, ses centres de pouvoir et de décision, ses alliés objectifs et subjectifs, bref de disposer sur lui une vision globale, puis d’élaborer les outils appropriés pour directement ou indirectement (ou conjuguer les deux à la fois) contrecarrer ceux du camp d’en-face, les neutraliser, les retourner si possible et les aliéner si nécessaire. Il s’agira aussi pour « l’opposition » de se scruter, de se soumettre elle-même au scanner de la réalité, de sa réalité et des objectifs voulus, d’identifier ses forces, ses faiblesses, ses alliés, ses tactiques pour réorganiser la marche avec une répartition responsable de tâches et pour instaurer en son sein une discipline devant lui permettre de tirer un maximum du minimum dont elle dispose. Ceci suppose qu’elle mette sur pied une vraie cellule de réflexion dont la mission sera de nourrir la volonté et le courage et leur donner la puissance attendue en les orientant vers des cibles bien visées.

Cette troisième voie permettra, si elle est maîtrisée, à ce qu’on appelle l’opposition togolaise de faire échouer le double piège qui se trouve au bout de la démission organisée de l’équipe Houngbo. 

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