Où sont les Africains? L'Afrique en réclame!
La génération des années 40 qui avait envisagé et travaillé, avant d'être liquidée, pour l'indépendance des territoires africains dans les années 1960, cette génération d'africains là avait plus d'imagination que notre génération. Celle-ci a des yeux mais ne veut pas voir. Elle a des oreilles, mais elle reste désespérément sourde. Elle a des cerveaux mais elle refuse de les exploiter. Elle a la possibilité de travailler en réseau mais elle se contente de la dispersion. Elle a la possibilité de se doter d'un leadership avisé et courageux, mais elle préfère avancer sans boussole. Bref, elle est absente face aux enjeux et défis qui sont les siens. Elle ruse avec les problèmes auxquels elle est confrontée. Elle ignore sa provenance, sa position actuelle dans le monde et ne sait exactement où elle se dirige. Mieux, elle se contente de se diriger vers l'abattoir par le couloir que lui a aménagé le système via l'école coloniale, la religion et le consumérisme colonial. Manifestement donc, nous ignorons ou en tout cas nous faisons tout pour ignorer que sous un leadership avisé et courageux bien de peuples fragilisés, dispersés et contrôlés hier par des puissances extérieures, ont pu procéder à leur réunification qui a fondé la résolution de leurs problèmes et leur affirmation dans le monde.
Dans cette dynamique d'absence se pose la question majeure des descendants d'Africains déportés: la masse de Noirs en terre de déportation où ils ont été détruits systématiquement n'envisagent pourtant pas retourner au bercail. Non seulement ces Africains sont en proie à un doute paralysant lié au prétendu vide dans lequel ils tomberaient en tentant de retourner vers eux-mêmes, mais surtout ils ont perdu le chemin du retour à la maison. Cette maison en ruine qui attend tous ses enfants pour être rebâtie. L'odeur fétide de la mort, de l'avilissement, de substitution culturelle à laquelle les négriers et leurs descendants ont soumis ces enfants d'Afrique ne suffit pas pour leur faire retrouver l'élan du retour. Ainsi, se cramponnent-ils à leurs terres de déportation, car pour une masse d'hommes qui doute de soi et qui a perdu la notion de peuple, il n'est aucun mal à se coucher là où on a chuté lourdement. Surtout si cette mentalité se trouve solidement fondée sur la conviction fallacieuse inventée par les négriers et leurs historiens que ces "masses noires" n'avaient pas été, durant 04 siècles, kidnappés, raflés, razziés en Afrique mais vendues par les Africains et leurs rois sur la base de contrats librement négociés, alors le mal atteint une profondeur insoupçonnable. C'est dire donc que quand l'on ne vit pas l'éloignement ou la perte de la maîtrise de sa terre natale comme un drame absolu; quand, en définitive, l'on se sent bien chez autrui que l'on fait passer dans sa conscience pour chez soi, on ne peut avoir en idée la reconquête de cette terre.
Rappelons simplement que la condition nécessaire pour la vie est la capacité de se défendre. Quiconque perd son aptitude à se défendre n'a aucune chance dans un monde où seules dans les séries de dessins animés le Lion est ami avec la gazelle et où seuls dans les livres des témoins de Jéhovah on présente un paradis où tous les êtres y accédant comme amis de toujours et pour toujours. Les sociétés désarmées et dispersées n'ont qu'une fin: l'extinction ou la servitude. Avant même de penser à progresser, les peuples doivent éviter d'être asservis, et lorsqu'ils sont déjà asservis comme c'est le cas des Africains, leur priorité doit être de briser leurs chaînes, de libérer les énergies ainsi confisquées, de rassembler ces masses dispersées, de les organiser afin de les réorienter vers la satisfaction des besoins propres. Car, insistons: les peuples qui trainent et traineront sur les quais de l'histoire ont et auront une triste fin. Et, personne ne pleure et ne pleurera pour eux. Ils se font et se feront dévorer par des loups à visage humain, qui, pour établir leur domination, se sont dotés d'armes, de groupes organisés et de redoutables stratégies de chasse. Malheur à ceux qui ne veulent pas voir cette réalité et s'organiser à leur tour pour préserver leur vie collective et celle de leurs progénitures.
C'est pour cela que chacun en pensant isolément pouvoir tirer son épingle du jeu en s'aliénant davantage dans une prétendue réussite dans un système suicidaire qui présente nos plus grands échecs comme les plus éclatantes victoires et surtout en tournant radicalement le dos à toute idée de peuple, les Africains où qu'ils soient tutoie merveilleusement l'accident final. Le piège est redoutable, puisque plus un individu s'aliène dans le système qui soumet l'Afrique et maintient les Africains dans la dispersion, plus il monte dans l'ordre hiérarchique colonial, mieux il est présenté comme un homme ou une femme qui a réussi. Attachés donc au factice et au superficiel, nous célébrons cette course à la destruction collective comme un progrès et donnons à ces constructions du système - véritables pseudo-réussites - le qualificatif de modèles. Nous sommes durs d'oreilles. Rien ne nous mobilise. Rien ne nous inquiète. Rien ne nous fait peur. Nous sommes des courageux, des courageux suicidaires, idiots, totalement bouchés et sourds à toutes les alertes. Nous sommes ravis et très contents dans l'humiliation et dans la soumission parce que, par la pitié qu'elles inspirent cyniquement ou innocemment, elles nous permettent de grappiller des miettes. Etant incapables et n'envisageant pas faire face à nous-mêmes pour affronter les défis qui sont les nôtres, nous nous contentons de ces miettes. Même traînées dans les crottes de chiens avant de nous être délivrées, ces miettes nous contentent, car notre philosophie est qu'il vaut mieux des miettes en putréfaction que de dormir le ventre vide. Il vaut mieux avoir un toit de serviteurs dans le vaste domaine du maître que de risquer - oui risquer, entend-on dire ici ou là - l'aventure du retour vers soi-même.
Komla KPOGLI
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