« Les armes légères (ou armes de poing) tuent mille personnes par jour dans le monde », expliquent Paul Moreira et David André dans leur documentaire Armes, trafic et raison d’Etat, diffusé mardi 2 septembre sur Arte (à l’issue de cette diffusion, Paul Moreira et David André seront sur Arte pour un Chat en direct) .
Ces deux journalistes d’investigation ont mené une enquête passionnante sur le trafic des armes en circulation sur la planète (plus de 700 millions pour 14 milliards de balles produites), une enquête qui les mène de l’Afrique à l’Europe, en passant par l’ancienne Union soviétique, les Etats-Unis et le siège de l’ONU.
Amnesty International et Oxfam, via le programme Control Arms, visent à enrayer ce funeste trafic qui a déjà causé cinq millions de morts civils, rien qu’en République du Congo, et rapporte 1 200 milliards de dollars par an. Control Arms c’est une équipe d’enquêteurs minutieux qui, grâce à l’aide d’humanitaires et de reporters en place sur le terrain, possèdent une incroyable base de données leur permettant de tracer le cheminement de ces armes, du producteur au « consommateur ».
D’aucuns penseront que le combat que mène Control Arms est illusoire, utopique, voué à l’échec. Une pétition initiée par Amnesty International et Oxfam a pourtant déjà récolté un million de signatures de citoyens du monde entier. A l’ONU, 153 pays sur 192 sont déjà prêts à signer une convention internationale. Un seul Etat s’oppose fermement à cette convention : les Etats-Unis…
Paul Moreira, co-auteur du documentaire Armes, trafic et raison d’Etat, est l’invité de ces rendez-vous de l’Agora. Il répond aux questions d’Olivier Bailly.
Agoravox : Votre documentaire commence comme un film de Michael Moore. Un clin d’œil ?
Paul Moreira : Nous avons voulu commencer par cette fausse pub, en réalité un vrai clip de campagne d’Amnesty International. C’est très provocateur et ça nous replace dans notre contexte culturel, avec le téléachat. Ça dit surtout que les armes ne sont pas des produits comme les autres.
A : En quoi le commerce des armes légères représente-t-il la face cachée de la mondialisation ?
PM : Le commerce des armes légères est un excellent moyen pour découvrir les acteurs de l’ombre employés par les gouvernements. Il y a des entreprises respectables, celles qui exposent au salon Milipol, qui font appel à ce commerce. Victor Bout, dont nous parlons dans le film et qui a inspiré le personnage du film Lord of War, est l’exemple type de la face cachée de la mondialisation. C’est une espèce de FedEx de l’ombre qui a accès aux armes de l’ancien bloc de l’Est. Ce genre de personnages, ce ne sont pas forcément des gens qui font partie de l’univers criminel. Parfois les Etats, pour des missions noires ou grises, font appel à eux.
A : Quels sont les pays émergents à la pointe de ce commerce ?
PM : La Chine, l’Inde, l’Egypte principalement.
A : Est-ce que des Etats peuvent aller jusqu’à vendre des armes à des guérillas qui leur sont hostiles ?
PM : Pour ce documentaire, nous n’en avons pas rencontré, mais d’une certaine manière pour la guerre de l’Angola, les Etats occidentaux ont armé les deux côtés. On sait que Jonas Savimbi, le chef de l’Unita, a été soutenu par les Américains. Il arrive que dans des conflits extérieurs on entretienne les deux camps. Au Congo, si on simplifie, on a une milice armée par le Rwanda (Laurent Kunda) et il y a d’autres groupes armés qui s’opposent.
A : Qu’est-ce qui se joue, régionalement et internationalement, au Congo ?
PM : Au Congo, les réserves minières sont très importantes et le pays qui contrôle ces ressources c’est le Rwanda. Le Rwanda contrôle le Nord-Kivu, c’est-à-dire l’est du Congo. Les relations des grandes puissances occidentales avec ces pays sont opportunistes. Prenez la Banro Congo Mining, qui est une filiale de l’entreprise canadienne Banro Corporation au conseil d’administration de laquelle on trouve des membres du gouvernement Bush. Leur intérêt c’est de pouvoir continuer à travailler en sécurité. Donc ils n’ont pas intérêt à avoir des ennemis locaux. C’est leur pouvoir de nuisance qui font la puissance de ces groupes armés. Au Congo, l’idée du traité de paix initial était bonne, mais elle a abouti à un vrai-faux processus de paix. L’ONU a dit « puisque c’est la paix, on va mixer les milices existantes dans l’armée congolaise ». Sauf que les milices sont restées fidèles à leurs premiers engagements…
A : Vous mettez en cause le groupe Bolloré, dont une filiale est installée en République du Congo. Y a-t-il eu des pressions de certains groupes pour que le documentaire ne passe pas sur Arte ?
PM : Non, pas du tout. D’ailleurs on n’accuse pas le groupe Bolloré de transporter des armes. Ce qu’on dit c’est que le commerce de minerais entretient la vente d’armes. C’est pourquoi l’ONU avait demandé au groupe Bolloré de se désengager du Congo, de ne pas investir dans la région. Ce qu’il y a de choquant c’est que la boîte de Bolloré que nous filmons sur place n’a jamais voulu rencontrer les gens de l’ONU.
Nous les avons filmés par hasard. Je faisais un plein d’essence. J’ai vu une société de transport du groupe Bolloré qui jouxte une entreprise de Minerais. J’ai filmé, je me suis dit que ça pourrait faire un plan intéressant. J’avais fait le plein et ça klaxonnait derrière, ce qui est assez fréquent dans les villes africaines, donc je n’y faisais pas attention. En fait, c’est moi qu’on klaxonnait. Derrière, il y avait deux types, un Noir et un Blanc. Ce dernier, dès que ça a commencé à tourner au scandale, s’est éclipsé. Il avait un accent sud-africain. L’autre était, si je me souviens bien, capitaine. Il avait une montre en or, ce qui prouve, dans ce pays ultra-miséreux, qu’il s’agissait d’un profiteur de guerre. D’après ce qu’on m’a dit par la suite, il n’est pas improbable que c’est un des gendarmes qui dirige une brigade chargée de protéger une mine. Et là, on est à trois heures du Rwanda… Il voulait m’embarquer. J’étais parti pour le poste, avec confiscation des caméras, ce qui aurait été le cauchemar. Et c’est là que je me suis aperçu combien les comptoirs de minerais étaient des lieux stratégiques.
A : Darfour, République démocratique du Congo, Guinée Conakry… Votre documentaire aborde essentiellement l’Afrique. Est-ce le continent le plus touché par ce commerce ?
PM : Nous aurions pu aller sur d’autres continents. L’enjeu c’est le minerai. Les armes affluent beaucoup où il y a des mines d’exploitation de minerais. Mais on aurait pu parler de l’Irak où, en 2007, 200 000 fusils d’assaut livrés par les Etats-Unis ont mystérieusement disparu…
A : Autre exemple cité dans votre documentaire : la Guinée, pays où sévit le dictateur Lansana Conté et qui a été le théâtre d’une très féroce répression de la part des troupes gouvernementales, en 2007 contre des manifestants pacifistes. Là, il n’est pas question de minerai.
PM : Non. La France vend des munitions à la Guinée, mais elle ne pouvait pas savoir que le gouvernement guinéen tirerait sur des civils… Maintenant, c’est vrai, elle le sait. Nous avons cherché à joindre pendant un mois le ministère des Affaires étrangères. On a eu quelqu’un qui nous a donné un chiffre concernant ces ventes de munition, dix fois inférieures aux registres des douanes vérifiés par l’ONU… A partir du moment où on a fait état de cette information, on n’a plus jamais eu de contact avec un officiel français.
En écho, m’est revenu le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy - en fait le discours de Guaino - qui évoquait l’homme africain qui n’était pas entré dans l’Histoire. Là, en Guinée, des hommes sont dans l’Histoire, demandent des conditions de vie meilleures et on leur tire dessus avec des munitions vendues par la France.
A : Dans votre documentaire vous évoquez le travail de Control Arms. De quoi s’agit-il ?
PM : C’est une plate-forme principalement contrôlée par deux ONG, Amnesty International et Oxfam auxquels des bénévoles de tous les continents contribuent. Ça me semblait important d’avoir cet élément humain dans le documentaire. Ils ont très peu de moyen. Ils sont aidés par des humanitaires, des journalistes, etc. qui leur envoie des photos d’armes prises sur le terrain qui permettent d’enquêter sur leurs origines. Les enquêteurs de Control Arms sont très bons en ce qui concerne les bases de données. Ils arrivent à tracer la provenance des armes.
A : Y a-t-il des Etats derrière Control Arms ?
PM : Certains de leurs enquêteurs ont de très bons rapports avec des membres de gouvernements, en Grande-Bretagne, notamment. Ils sont très respectés. Le militantisme français, c’est par exemple Robert Ménard qui va gueuler, passer à la télé, exagérer un peu pourvu que ça serve le combat. Chez les Anglo-Saxons, précisément chez Amnesty, ce sont encore plus que des journalistes d’investigation ! Pour ce reportage, il a été plus facile d’avoir accès aux milices du Congo que de gagner leur confiance. Ils sont très embêtants pour les Américains ! Ils sont aussi du bon côté de la morale. Brian Wood, qui dirige les enquêtes, je le trouve assez fascinant, on dirait un personnage de John Le Carré ! Ces gens-là ne pensent pas qu’on arrivera un jour à supprimer le commerce des armes, mais ils combattent, ce sont des idéalistes indécrottables et c’est assez plaisant.
A : Vous consacrez une partie de votre documentaire à John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, qui représente un courant très conservateur. C’est un ami de la NRA (groupe qui exerce un puissant lobbying à l’ONU) qui aimerait que le monde ressemble aux Etats-Unis, c’est-à-dire que chaque individu puisse s’armer librement.
PM : John Bolton a été placé à l’Onu par Bush pour démanteler les traités multilatéraux, comme par exemple Kyoto ou le Tribunal pénal international. Ce que prouve ce film c’est que les Etats-Unis sont le pays le moins mondialiste ou le moins internationaliste qui soit. Ils se considèrent comme la dernière grande puissance. Ils ne veulent pas de traité sur le commerce des armes légères. Les Américains sont très différents des Européens : les Européens s’engagent, mais en douce vendent des armes illégalement, comme c’est le cas de la France avec la Guinée.
Les Etats-Unis respectent les lois. S’ils s’engagent, ils savent qu’il y aura un appareil de contrôle de leur engagement, ce qui n’existe pas en Europe. Les Etats-Unis veulent préserver leur capacité à armer leurs milices qui sur le terrain font le boulot à leur place, ce qui permet de ne pas engager leurs hommes. C’est ce qui s’est passé avec les Contras au Nicaragua. C’est également ce qui s’est passé en Afghanistan quand ils ont armé les seigneurs de la guerre entre 2001 et 2004.
A : Que vous a appris ce documentaire ?
PM : Ce que m’a appris ce documentaire, c’est qu’une bonne arme ne meurt jamais. Dans les conflits que nous évoquons, il y a des armes qui ont 40 ou 50 ans. Souvenons-nous que le chef de guerre Gulbuddine Hekmatyar, qui en 2007 a prétendu avoir aidé Ben Ladden à s’évader de Tora Bora, a été armé massivement dans les années 80 par les Etats-Unis à l’époque de la guerre contre l’Union soviétique…
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43655
Ces deux journalistes d’investigation ont mené une enquête passionnante sur le trafic des armes en circulation sur la planète (plus de 700 millions pour 14 milliards de balles produites), une enquête qui les mène de l’Afrique à l’Europe, en passant par l’ancienne Union soviétique, les Etats-Unis et le siège de l’ONU.
Amnesty International et Oxfam, via le programme Control Arms, visent à enrayer ce funeste trafic qui a déjà causé cinq millions de morts civils, rien qu’en République du Congo, et rapporte 1 200 milliards de dollars par an. Control Arms c’est une équipe d’enquêteurs minutieux qui, grâce à l’aide d’humanitaires et de reporters en place sur le terrain, possèdent une incroyable base de données leur permettant de tracer le cheminement de ces armes, du producteur au « consommateur ».
D’aucuns penseront que le combat que mène Control Arms est illusoire, utopique, voué à l’échec. Une pétition initiée par Amnesty International et Oxfam a pourtant déjà récolté un million de signatures de citoyens du monde entier. A l’ONU, 153 pays sur 192 sont déjà prêts à signer une convention internationale. Un seul Etat s’oppose fermement à cette convention : les Etats-Unis…
Paul Moreira, co-auteur du documentaire Armes, trafic et raison d’Etat, est l’invité de ces rendez-vous de l’Agora. Il répond aux questions d’Olivier Bailly.
Agoravox : Votre documentaire commence comme un film de Michael Moore. Un clin d’œil ?
Paul Moreira : Nous avons voulu commencer par cette fausse pub, en réalité un vrai clip de campagne d’Amnesty International. C’est très provocateur et ça nous replace dans notre contexte culturel, avec le téléachat. Ça dit surtout que les armes ne sont pas des produits comme les autres.
A : En quoi le commerce des armes légères représente-t-il la face cachée de la mondialisation ?
PM : Le commerce des armes légères est un excellent moyen pour découvrir les acteurs de l’ombre employés par les gouvernements. Il y a des entreprises respectables, celles qui exposent au salon Milipol, qui font appel à ce commerce. Victor Bout, dont nous parlons dans le film et qui a inspiré le personnage du film Lord of War, est l’exemple type de la face cachée de la mondialisation. C’est une espèce de FedEx de l’ombre qui a accès aux armes de l’ancien bloc de l’Est. Ce genre de personnages, ce ne sont pas forcément des gens qui font partie de l’univers criminel. Parfois les Etats, pour des missions noires ou grises, font appel à eux.
A : Quels sont les pays émergents à la pointe de ce commerce ?
PM : La Chine, l’Inde, l’Egypte principalement.
A : Est-ce que des Etats peuvent aller jusqu’à vendre des armes à des guérillas qui leur sont hostiles ?
PM : Pour ce documentaire, nous n’en avons pas rencontré, mais d’une certaine manière pour la guerre de l’Angola, les Etats occidentaux ont armé les deux côtés. On sait que Jonas Savimbi, le chef de l’Unita, a été soutenu par les Américains. Il arrive que dans des conflits extérieurs on entretienne les deux camps. Au Congo, si on simplifie, on a une milice armée par le Rwanda (Laurent Kunda) et il y a d’autres groupes armés qui s’opposent.
A : Qu’est-ce qui se joue, régionalement et internationalement, au Congo ?
PM : Au Congo, les réserves minières sont très importantes et le pays qui contrôle ces ressources c’est le Rwanda. Le Rwanda contrôle le Nord-Kivu, c’est-à-dire l’est du Congo. Les relations des grandes puissances occidentales avec ces pays sont opportunistes. Prenez la Banro Congo Mining, qui est une filiale de l’entreprise canadienne Banro Corporation au conseil d’administration de laquelle on trouve des membres du gouvernement Bush. Leur intérêt c’est de pouvoir continuer à travailler en sécurité. Donc ils n’ont pas intérêt à avoir des ennemis locaux. C’est leur pouvoir de nuisance qui font la puissance de ces groupes armés. Au Congo, l’idée du traité de paix initial était bonne, mais elle a abouti à un vrai-faux processus de paix. L’ONU a dit « puisque c’est la paix, on va mixer les milices existantes dans l’armée congolaise ». Sauf que les milices sont restées fidèles à leurs premiers engagements…
A : Vous mettez en cause le groupe Bolloré, dont une filiale est installée en République du Congo. Y a-t-il eu des pressions de certains groupes pour que le documentaire ne passe pas sur Arte ?
PM : Non, pas du tout. D’ailleurs on n’accuse pas le groupe Bolloré de transporter des armes. Ce qu’on dit c’est que le commerce de minerais entretient la vente d’armes. C’est pourquoi l’ONU avait demandé au groupe Bolloré de se désengager du Congo, de ne pas investir dans la région. Ce qu’il y a de choquant c’est que la boîte de Bolloré que nous filmons sur place n’a jamais voulu rencontrer les gens de l’ONU.
Nous les avons filmés par hasard. Je faisais un plein d’essence. J’ai vu une société de transport du groupe Bolloré qui jouxte une entreprise de Minerais. J’ai filmé, je me suis dit que ça pourrait faire un plan intéressant. J’avais fait le plein et ça klaxonnait derrière, ce qui est assez fréquent dans les villes africaines, donc je n’y faisais pas attention. En fait, c’est moi qu’on klaxonnait. Derrière, il y avait deux types, un Noir et un Blanc. Ce dernier, dès que ça a commencé à tourner au scandale, s’est éclipsé. Il avait un accent sud-africain. L’autre était, si je me souviens bien, capitaine. Il avait une montre en or, ce qui prouve, dans ce pays ultra-miséreux, qu’il s’agissait d’un profiteur de guerre. D’après ce qu’on m’a dit par la suite, il n’est pas improbable que c’est un des gendarmes qui dirige une brigade chargée de protéger une mine. Et là, on est à trois heures du Rwanda… Il voulait m’embarquer. J’étais parti pour le poste, avec confiscation des caméras, ce qui aurait été le cauchemar. Et c’est là que je me suis aperçu combien les comptoirs de minerais étaient des lieux stratégiques.
A : Darfour, République démocratique du Congo, Guinée Conakry… Votre documentaire aborde essentiellement l’Afrique. Est-ce le continent le plus touché par ce commerce ?
PM : Nous aurions pu aller sur d’autres continents. L’enjeu c’est le minerai. Les armes affluent beaucoup où il y a des mines d’exploitation de minerais. Mais on aurait pu parler de l’Irak où, en 2007, 200 000 fusils d’assaut livrés par les Etats-Unis ont mystérieusement disparu…
A : Autre exemple cité dans votre documentaire : la Guinée, pays où sévit le dictateur Lansana Conté et qui a été le théâtre d’une très féroce répression de la part des troupes gouvernementales, en 2007 contre des manifestants pacifistes. Là, il n’est pas question de minerai.
PM : Non. La France vend des munitions à la Guinée, mais elle ne pouvait pas savoir que le gouvernement guinéen tirerait sur des civils… Maintenant, c’est vrai, elle le sait. Nous avons cherché à joindre pendant un mois le ministère des Affaires étrangères. On a eu quelqu’un qui nous a donné un chiffre concernant ces ventes de munition, dix fois inférieures aux registres des douanes vérifiés par l’ONU… A partir du moment où on a fait état de cette information, on n’a plus jamais eu de contact avec un officiel français.
En écho, m’est revenu le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy - en fait le discours de Guaino - qui évoquait l’homme africain qui n’était pas entré dans l’Histoire. Là, en Guinée, des hommes sont dans l’Histoire, demandent des conditions de vie meilleures et on leur tire dessus avec des munitions vendues par la France.
A : Dans votre documentaire vous évoquez le travail de Control Arms. De quoi s’agit-il ?
PM : C’est une plate-forme principalement contrôlée par deux ONG, Amnesty International et Oxfam auxquels des bénévoles de tous les continents contribuent. Ça me semblait important d’avoir cet élément humain dans le documentaire. Ils ont très peu de moyen. Ils sont aidés par des humanitaires, des journalistes, etc. qui leur envoie des photos d’armes prises sur le terrain qui permettent d’enquêter sur leurs origines. Les enquêteurs de Control Arms sont très bons en ce qui concerne les bases de données. Ils arrivent à tracer la provenance des armes.
A : Y a-t-il des Etats derrière Control Arms ?
PM : Certains de leurs enquêteurs ont de très bons rapports avec des membres de gouvernements, en Grande-Bretagne, notamment. Ils sont très respectés. Le militantisme français, c’est par exemple Robert Ménard qui va gueuler, passer à la télé, exagérer un peu pourvu que ça serve le combat. Chez les Anglo-Saxons, précisément chez Amnesty, ce sont encore plus que des journalistes d’investigation ! Pour ce reportage, il a été plus facile d’avoir accès aux milices du Congo que de gagner leur confiance. Ils sont très embêtants pour les Américains ! Ils sont aussi du bon côté de la morale. Brian Wood, qui dirige les enquêtes, je le trouve assez fascinant, on dirait un personnage de John Le Carré ! Ces gens-là ne pensent pas qu’on arrivera un jour à supprimer le commerce des armes, mais ils combattent, ce sont des idéalistes indécrottables et c’est assez plaisant.
A : Vous consacrez une partie de votre documentaire à John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, qui représente un courant très conservateur. C’est un ami de la NRA (groupe qui exerce un puissant lobbying à l’ONU) qui aimerait que le monde ressemble aux Etats-Unis, c’est-à-dire que chaque individu puisse s’armer librement.
PM : John Bolton a été placé à l’Onu par Bush pour démanteler les traités multilatéraux, comme par exemple Kyoto ou le Tribunal pénal international. Ce que prouve ce film c’est que les Etats-Unis sont le pays le moins mondialiste ou le moins internationaliste qui soit. Ils se considèrent comme la dernière grande puissance. Ils ne veulent pas de traité sur le commerce des armes légères. Les Américains sont très différents des Européens : les Européens s’engagent, mais en douce vendent des armes illégalement, comme c’est le cas de la France avec la Guinée.
Les Etats-Unis respectent les lois. S’ils s’engagent, ils savent qu’il y aura un appareil de contrôle de leur engagement, ce qui n’existe pas en Europe. Les Etats-Unis veulent préserver leur capacité à armer leurs milices qui sur le terrain font le boulot à leur place, ce qui permet de ne pas engager leurs hommes. C’est ce qui s’est passé avec les Contras au Nicaragua. C’est également ce qui s’est passé en Afghanistan quand ils ont armé les seigneurs de la guerre entre 2001 et 2004.
A : Que vous a appris ce documentaire ?
PM : Ce que m’a appris ce documentaire, c’est qu’une bonne arme ne meurt jamais. Dans les conflits que nous évoquons, il y a des armes qui ont 40 ou 50 ans. Souvenons-nous que le chef de guerre Gulbuddine Hekmatyar, qui en 2007 a prétendu avoir aidé Ben Ladden à s’évader de Tora Bora, a été armé massivement dans les années 80 par les Etats-Unis à l’époque de la guerre contre l’Union soviétique…
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