vendredi 4 mars 2011

Ce que les Occidentaux défendent en Libye.

Libye: les USA veulent sous-traiter une intervention trop risqué.


S'il parait évident que les Etats-Unis comptent sur le renversement du régime de Khadafi pour mettre la Libye sous influence américaine, leurs échecs afghan et irakien ne leur permettent pas d'utiliser l'intervention militaire directe. Dès lors, pour « tirer les marrons du feu », les Américains font tout pour que le « sale boulot » soit fait par leurs alliés, et en particulier par la France dont l'intervention humanitaire prochaine s'avère complexe : comment pourrait-elle se faire sans une protection militaire concomitante ?

Et l’on retrouve - à Washington - les mêmes discours, les mêmes arguments, le même mode opératoire surtout, celui qui consiste à obtenir l’assentiment de la communauté internationale et de ses institutions. Il est question d’un dictateur. Il est question de ses agissements. Il est question de sa dangerosité, pour son peuple particulièrement. Il est question de le faire tomber pour des raisons de morale et d’éthique. De qui parle-t-on ? De Saddam Hussein... ? Que nenni puisqu’il s’agit de Mouammar Kadhafi dont on se souvient, au passage, qu’il finança et aida beaucoup le terrorisme international dans le temps jadis, chose que, pourtant, on lui avait pardonné, il y a peu, l’absolution US étant motivée par la perspective de réaliser (enfin ?) quelques bonnes affaires en Libye.

Pourtant, quelque chose a changé malgré l’apparente similitude.

Cela concerne, et le passage à l’acte, et le traitement effectif de la situation sur le terrain.

L’administration Obama, contrairement à celles qui l’ont précédée - celles des Bush père et fils notamment - bénéficie du recul historique et donc des leçons de la désastreuse intervention militaire américaine en Irak. Par ailleurs, elle se trouve empêtrée dans un conflit afghan non solutionné et doit toujours faire face à une situation économique incertaine - pour cause d’instabilité du dollar et d’abysse de ses déficits budgétaires et commerciaux – amoindrissant sa capacité à financer de nouvelles aventures militaires à risque. Toutes bonnes raisons, donc, pour « refiler la corvée » à d’autres, tout en essayant de tirer les marrons du feu, le cas échéant.

    

  Explication.

D’une pierre deux coups : sous-traiter aux « Alliés » les interventions extérieures à risque, évincer les intérêts français en Libye.

Le résultat irakien est encore dans toutes les têtes à Washington : pour avoir voulu prendre le contrôle direct de l’Irak – en tant qu’espace stratégique + sous-sol pétrolifère - par voie d’invasion puis d’occupation militaires, les États-Unis ont dû faire face à une insurrection imprévue qui s’est progressivement généralisée et dont ils n’ont pu venir à bout malgré un déploiement de forces (et de dollars) plus que conséquent.

Par conséquent, considérant une situation analogue, celle d’un pays « intéressant » de par sa position géographique et les richesses de son sous-sol, mais dont le peuple montre et démontre sa capacité insurrectionnelle, il convient de maintenir le but, mais de changer la manœuvre. Raison pour laquelle la mise sous influence américaine de la Libye doit résulter d’une approche indirecte, c'est-à-dire d’une capacité à influencer et conditionner les esprits afin de les faire agir conformément au but fixé et à atteindre, sans que la violence militaire extrême soit forcément utilisée.

Cette influence se décline selon trois niveaux.

Le premier niveau concerne Kadhafi lui-même - « Nous allons maintenir la pression sur Kadhafi jusqu'à ce qu'il démissionne et permette au peuple libyen de s'exprimer librement afin de déterminer son avenir », a déclaré Susan Rice - représentante permanente des États-Unis auprès de l'Onu – propos valant programme d’action. Que veulent les USA justement ? Le départ du Guide de la Révolution dans un premier temps, son remplacement par un pouvoir « démocratique » nourri au lait des valeurs démocratiques telles que Washington les conçoit, c'est-à-dire reflétant une vision culturelle et politique anglo-saxonne et surtout proaméricaine. A cet égard, la récente déclaration du porte-parole de la Maison Blanche illustre le propos : « Nous prenons activement des contacts avec ceux qui en Libye travaillent à mettre sur pied un gouvernement respectant les droits du peuple libyen. » En lisant entre les lignes, cela signifie que Washington s’apprête à structurer puis aider, de toutes les façons possibles, l’opposition à Kadhafi afin de faciliter une prise de pouvoir par cette dernière. Cette aide va consister, d’abord, à faire fuir le dictateur. Comment ? En lui faisant peur, raison pour laquelle Washington concentre l’un ou l’autre groupe naval à proximité des côtes libyennes, l’un comportant une force aéronavale susceptible de mener des opérations d’« Air dominance » - c'est-à-dire de supériorité aérienne afin de contrôler l’espace aérien libyen pour empêcher tout bombardement aérien de l’insurrection anti-Kadhafi par l’aviation du maître de Tripoli – l’autre comportant notamment des moyens amphibies susceptibles de mener des opérations de débarquement de troupes à terre, des « Marines » en l’occurrence.

Le second niveau concerne les Européens et l’OTAN – pour éviter de trop attirer l’attention, il convient d’avancer masqué. Washington ne veut pas donner l’air de se mêler seul des affaires libyennes. Rien de tel pour donner le change à l’opinion publique internationale que de partager fardeau et responsabilité de l’opération de contrôle de l’espace aérien avec d’autres, tout en sachant que l’on définit les rôles, procédures et stratégies. Pour ce faire, l’OTAN est la plateforme idéale. L’Alliance regroupe des forces de plusieurs nations. Mais... les USA peuvent obtenir bien des choses de leurs partenaires, hors OTAN même, le cas échéant, et l’on songe aux Britanniques toujours prêts à rendre service comme ils le firent en Irak.

Le troisième niveau concerne les Français – depuis plusieurs années, les Américains mènent sur l’ensemble du continent africain des opérations destinées à évincer les implantations et positions françaises, qu’elles soient politiques, militaires et/ou économiques. En clair, les USA veulent virer la France et prendre sa place. Pierre Péan, dans son ouvrage intitulé Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, en a fait la parfaite démonstration, mettant en lumière, avec l’affaire du Rwanda mais aussi en expliquant ce qui s’est passé au Zaïre, des agissements étatsuniens destinés à déstabiliser les intérêts français notamment par voie de discrédit et d’accusation de complicité de génocide. Plus récemment, le déversement de critiques concernant les atermoiements de la diplomatie française relativement aux évènements tunisiens et égyptiens a participé du même schéma, d’autant plus que bien des voix se sont élevées pour féliciter la diplomatie américaine d’avoir encouragé les peuples à se libérer comme d’avoir entretenu un « vrai » dialogue avec les oppositions à Ben Ali et à Moubarak. Cette logique de contestation de la zone d’influence française vaut aussi pour la Libye, perçue par les USA comme un (trop) gros client et consommateur de systèmes d’armes français et comme un trop gros exportateur de pétrole vers l’Europe. Pour changer la donne, il convient de mettre les Français en difficulté. Pour y parvenir, deux méthodes :

1- les presser d’agir militairement en invoquant justement leur responsabilité tirée de cette zone d’influence que l’on cherche à leur ôter.

2- insister sur la catastrophe humanitaire actuellement en cours en Libye du fait de l’afflux de réfugiés aux frontières du pays. Et ... cela marche.

Sarkozy et Fillon gobent l’appât et mettent un doigt dans l’engrenage.

Cette pression produit donc des résultats.

Pour s’en rendre compte, il convient d’avoir en tête les propos tenus par François Fillon au micro de RTL ce lundi-ci. Le Premier Ministre a déclaré deux choses. D’abord que la France était en train de mettre sur pied une opération humanitaire massive, celle-ci connaissant un commencement d’exécution avec l’envoi de deux avions transportant personnel médical et matériel destinés à être acheminé jusque Benghazi. Qu’ensuite, plusieurs options étaient – et non pas « seraient » - à l’étude. Parmi elles, on trouve, bien entendu, la possible action sur l’espace aérien libyen, laquelle correspond à une interdiction de survol de la Libye. Mais on trouve envisagées aussi « (...) toutes les solutions pour faire en sorte que le colonel Kadhafi comprenne qu'il doit s'en aller. (...) Je sais qu'on évoque des solutions militaires, ces solutions font l'objet d'évaluations de la part du gouvernement français ».

Ce dernier point est capital. Car la notion de solution militaire au pluriel est une sémantique globale qui inclut toutes les options, y compris l’emploi de la force terrestre par projection et déploiement sur le sol libyen.

De quoi amplement satisfaire Washington.

Quand Juppé fait semblant de croire qu’on peut massivement déployer des « humanitaires » sans assurer leur protection.

D’aucuns pourront rétorquer que, ce mardi 1er mars, Alain Juppé, interrogé au JT de 20 heures de TF1 a exclu - a priori - toute action militaire, notamment toute action qui ne serait pas débattue et mandatée par l’ONU.

Oui, sans doute, sauf que...

Sauf qu’il va falloir expliquer comment on va organiser une opération humanitaire massive – et donc déployer massivement des personnels civils et non armés – au milieu d’un pays en proie à l’insurrection, à l’instabilité et au chaos, sans se poser, et traiter, la question de la protection du dispositif ?

Après tout, Madame Clinton n’a-t-elle pas déclaré : « Dans les années à venir, la Libye peut devenir une démocratie pacifique ou affronter une guerre civile, voire descendre dans le chaos. » ? Le risque est donc patent. Il provient des nervis de Kadhafi. Il provient aussi des revirements, caprices et mouvements des foules qui, un jour peuvent acclamer les humanitaires, et l’autre les vouer aux gémonies et surtout vouloir piller leur matériel, nourriture, etc. Ce genre d’évènements s’est déroulé à plusieurs reprises, en Somalie notamment au milieu des années 1990.

Le problème ne souffre donc d’aucune contestation : des Français vont se retrouver dans une zone où ils pourront être exposés et où se posera la question de leur protection. On le voit mal réglé par des autorités libyennes « provisoires » issues de l’insurrection et dont les capacités organisationnelles et militaires sont floues. Par conséquent, une présence armée sur place devient une hypothèse plus que sérieuse.

Dès lors, quand Alain Juppé exclut toute intervention militaire française en Libye, il feint d’ignorer (sans doute en oubliant sa qualité d’ex-ministre de la Défense) que la présence massive d’humanitaires au milieu d’un chaos politique comme de violence emporte, corrélativement et impérativement, la présence d’une force de sécurité. Il feint d’ignorer aussi que si la présence humanitaire est française, on voit mal comment la sécurisation ne pourrait pas ne pas être française au moins en partie...

Au final, l’implication humanitaire de la France en Libye – voulue par Sarkozy - porte en elle le germe de sa future implication militaire c'est-à-dire de son discrédit aux yeux des populations, espoir autant que but final caressé par Washington.

Se souvenir du passé et de ses leçons : « Travailler pour le roi de Prusse ».

Ceci amène à se souvenir de la guerre dite de Succession d’Autriche et de sa conclusion : elle ne profita qu’au roi de Prusse de l’époque – Frédéric II – qui tira, seul, les marrons du feu, bénéficiant, par voie d’annexion de territoire, des effets d’une intervention militaire française fort coûteuse humainement et financièrement pour le royaume de Louis XV qui, lui, ne profita de rien.

L’on attribue à Voltaire la phrase « travailler pour le roi de Prusse » en évoquant, en la moquant, cette intervention extérieure sans contrepartie aucune pour le royaume de France, ni en terme de bénéfice territorial ou financier, ni en terme de prestige.

Cette situation risque de se répéter en Libye où la France risque de travailler pour et à la place de l’Oncle Sam, mais pour son plus grand profit politique à moyen et long terme. Voulant faire pardonner ses atermoiements diplomatiques divers face aux soulèvements arabes, Sarkozy aura à cœur de se racheter en faisant de l’humanitaire puis ensuite de la « stabilisation ». Il oublie simplement que, d’une part des Français seront alors en première ligne pour gérer l’ingérable c'est-à-dire une insurrection et toutes ses conséquences, que, d’autre part, les USA dénigreront cela et récupèreront, ensuite, la situation à leur compte en dispensant, alors, de l’aide et de l’intervention, non pas humanitaire, mais économique (et remboursable en pétrole) une fois que le plus dur aura été fait par les Français.

Conclusion : l’on ne gagne rien à être les sous-traitants de la politique extérieure étatsunienne. Sarkozy risque de l’apprendre à ses dépens. Nous aussi malheureusement...

Jean-Louis Denier – Tribune | Mercredi 2 Mars 2011

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