lundi 2 juin 2008

La Crise alimentaire globale rend urgente la mise en place d'un système de gouvernance démocratique mondiale

Communiqué de UBUNTU


Nous soussignés, sur initiative du Forum Mondial des notre inquiétude profonde et notre grande indignation à l'égard d'une situation aussi grave que prévisible, celle de l'alimentation de la population mondiale, un thème pourtant crucial. Cette situation met en évidence l'échec — sur les plans financier, environnemental, culturel et moral — du système économique actuel, qui a remplacé les valeurs universelles par les lois du marché, et qui reflète une faiblesse des organisations internationales, due au manque de soutien des pays les plus puissants.

En effet,

  • En juillet 2002, dans un communiqué personnel émis dans le cadre du Forum UBUNTU après la tenue du 2e Sommet mondial de l'alimentation — l'un des nombreux antécédents du prochain Sommet mondial sur la sécurité alimentaire organisé par la FAO qui aura lieu en juin 2008 —, Federico Mayor affirmait notamment :
    1. Il s'est produit une situation qui interpelle nos consciences : Alors que des dizaines de milliers d'êtres humains meurent de faim tous les jours, lors de ce 2e sommet mondial il n'a pas été possible d'adopter les mesures nécessaires pour éradiquer ce véritable « génocide silencieux » et les pays les plus développés n'ont pas montré la volonté politique requise pour en combattre les causes. [...] Combien de femmes, d'enfants et de vieillards mourront pour les décisions qui n'ont pas été prises ?
    2. Des centaines de millions d'êtres humains souffrent actuellement de la faim. Cependant que les pays les plus puissants augmentent leurs investissements en armements, dépenses militaires et de sécurité internationale, cette part si importante de l'Humanité se voit refusées les ressources de tous types — y compris celles de formation, connaissances et technologies appropriées — nécessaires à leur survie.
    3. Alors que les régions les plus favorisées protègent leur production agricole en s'appuyant sur d'énormes ressources financières, les pays appauvris se voient forcés de libéraliser leurs marchés agricoles. Les politiques d'austérité du Fonds monétaire international (FMI) et la libéralisation du commerce mondial prônée par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) ont conduit la plupart de ces pays à réduire leurs tarifs douaniers agricoles et leurs subventions aux producteurs, sous prétexte que c'est le marché qui doit résoudre leurs problèmes.
    4. Aucune nation n'est exempte de responsabilité : il est inadmissible de transférer « au marché » les devoirs moraux et les responsabilités politiques qui incombent aux dirigeants démocratiques. L'urgente nécessité de codes de conduite mondiaux dans le cadre juridique éthique de Nations Unies dûment réformées est, au vu de ce qui précède, une exigence impérative.

Que se passait-il alors et qu'arrive-t-il depuis lors?

  • La population mondiale ne cesse d'augmenter — bien que modérément depuis quelques années — et, par conséquent, les besoins alimentaires mondiaux continuent et continueront de croître. Cette augmentation a lieu et aura lieu essentiellement dans le Sud, qui connaît actuellement la plus forte demande. À ce sujet,
    1. La forte croissance économique de certains pays émergents a logiquement entraîné une brusque augmentation de la demande en céréales, associée à l'augmentation de la consommation de viande, de lait, d'œufs, etc., c'est-à-dire à un développement accru. Cette contribution à la demande globale de céréales entraîne une augmentation de la pression sur ce marché, qui a besoin, clairement et rapidement, d'une régulation au niveau mondial.
    2. L'augmentation non satisfaite de la demande alimentaire dans le Sud se traduira à coup sûr par plus de frustration et de radicalisation, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles vagues d'émigration.
    3. Quoi qu'il en soit, la crise alimentaire actuelle démontre que les limites d'exploitation de certaines ressources de la planète sont sur le point d'être franchies, ce qui confirme le besoin pressant d'un changement radical, principalement dans le Nord, des schémas actuels non durables de production et de consommation.
  • La quasi-totalité des terres arables est déjà utilisée et, par conséquent, seulement l'augmentation de la productivité basée en des technologies « propres » et renouvelables pourra contribuer à accroître la production agricole locale et globale. Néanmoins, certains phénomènes dignes d'être relevés ont contribué à aggraver la situation en la matière.
    1. a.Au cours des dernières décennies, la mondialisation économique néolibérale, encadrée par le FMI, par la Banque Mondiale et par l'OMC, a exigé des pays du Sud la mise en œuvre de politiques de privatisation et de libéralisation des marchés, entraînant ainsi une concurrence totalement inégale avec les pays du Nord (qui, en revanche, maintenaient et continuent de maintenir leurs subventions agricoles, y compris celles liées aux exportations d'excédents), ce qui a énormément affaibli les agricultures du Sud. Dans cette offensive, les pays du Sud ont non seulement perdu de leur compétitivité à l'échelle mondiale, mais leurs agricultures de subsistance locale ont été démantelées. Le résultat est le pire qui soit, à savoir une augmentation de la faim, tant au niveau local que mondial. Il est temps de demander des comptes aux responsables politiques qui sont à l'origine de ce type de situation.
    2. a.En ce qui concerne une autre crise mondiale, celle de l'énergie, d'importants pays producteurs agricoles utilisent de plus en plus de terres et de produits agricoles non destinés à l'alimentation pour l'obtention de biocarburants. Nous soussignés, considérons que face à de tels problèmes, l'Humanité doit se doter de mécanismes globaux d'arbitrage et de décision dont la portée serait supérieure à celles des mécanismes étatiques, au vu du fait qu'il s'agit de politiques très susceptibles d'avoir des impacts particulièrement significatifs à l'échelle mondiale.
  • Les prix des produits agricoles ont enregistré, surtout au cours des deux dernières années, une hausse spectaculaire qui a contribué à aggraver la situation. Les motifs principaux de cette hausse peuvent être résumés comme suit :
    1. La crise mondiale de l'énergie, particulièrement du pétrole, a eu une forte incidence sur les prix de la production et du transport des aliments. En outre, pendant de nombreuses années, les grandes compagnies pétrolières ont non seulement occulté les effets de la consommation excessive de pétrole sur l'environnement, mais ont aussi dressé toutes sortes d'obstacles à l'utilisation de sources propres et renouvelables de production d'énergie. Les prix continueront d'augmenter dans la mesure où la délocalisation agricole fait partie du processus de globalisation. Le caractère non durable du modèle agricole mondial actuel ne fait aucun doute.
    2. La crise financière attire les investisseurs — par un effet collatéral — vers les marchés agricoles, plus stables, où ils obtiennent des bénéfices grâce à l'achat spéculatif de valeurs (contrats à terme) qu'ils revendent ensuite plus cher en raison de l'augmentation de la demande. La hausse des prix actuelle et future de l'offre agricole qui s'ensuit entraîne une augmentation de la faim dans le monde. Il est évident que, comme pour la crise financière, la régulation politique mondiale des marchés mondiaux est indispensable.

Face à ce paysage désolant et complexe, jalonné d'incertitudes et aux multiples facteurs étroitement reliés, nous soussignés, estimons que seule la mise en place rapide d'un système de Gouvernance Démocratique Mondiale peut mettre l'Humanité en conditions de diriger de façon démocratique et responsable sa destinée et, concrètement, de satisfaire ses besoins de base en alimentation. Ce système, conformément avec ce que nous préconisons dans le cadre de la Campagne Mondiale pour une Réforme en profondeur du Système des Institutions Internationales, doit contribuer à renforcer le système des Nations Unies, en refondant les autres organisations financières, économiques et commerciales en son sein, et en les dotant des ressources humaines et financières permettant de relever les défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés. Il est ainsi nécessaire qu'il :

  1. Ait la capacité de mettre en pratique des décisions globales dans un cadre réellement démocratique. La production et l'utilisation de biocarburants, la régulation des différents marchés globaux, etc., ne peuvent pas continuer à dépendre uniquement de décisions étatiques ou, pire encore, des marchés des pays les plus prospères et les plus puissants.
  2. Donne la priorité, par le biais d'une forme de discrimination positive, aux intérêts des plus pauvres d'entre nous, qui représentent l'immense majorité des habitants de notre planète. Cela suppose de mettre en place un nouveau modèle, beaucoup plus localisé et durable — sur les plans social, environnemental et économique —, en s'occupant d'abord des pays les moins développés pour tout ce qui concerne la production et le commerce agricole.
  3. Naisse d'une réforme en profondeur des organisations internationales actuelles qui, entre autres, impliquerait :
    1. La fin de la prépondérance de certaines organisations internationales (celles qui sont contrôlées par les pays les plus riches du monde) sur d'autres. Ainsi, dans le domaine essentiel de l'alimentation, les politiques du FMI, de la Banque Mondiale et de l'OMC ne peuvent continuer à prendre le pas sur celles de la FAO.
    2. Que les organes compétents des Nations Unies — la FAO, le Fonds International de Développement Agricole (FIDA), le Programme Alimentaire Mondial (surtout en ces aspects moins mis en relation avec des urgences) — disposent de la coordination, du cadre de compétences et des ressources nécessaires pour, en premier lieu, faire face aux situations d'urgence actuelles et, ensuite, mettre en pratique les politiques requises à moyen et long terme, afin de résoudre les problèmes de fond.
    3. De tirer parti de la nouvelle chance représentée par la révision du Consensus de Monterrey sur le financement du développement et de définir et de mettre en œuvre, de façon juste et sans plus tarder, un système de financement du développement qui soit transparent, prévisible et durable et qui permette d'atteindre les objectifs de développement que l'Humanité exige de façon pressante.


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