Lynx.info : Pour un scrutin a un tour beaucoup table pour une solution de l’union de l’opposition.Le problème du Togo est-il actuellement celle de la candidature unique ?
Rodrigue KPOGLI: C’est évidemment un faux problème. Au Togo, la question est de savoir si le pouvoir en place est disposé à suivre la voie démocratique pacifiquement exprimée par le peuple. Chacun peut y répondre. De notre point de vue, la réponse est non. A partir de là, candidature unique ou pas, le pouvoir RPT et ses alliés ont leur décision. Tant pis pour ceux qui pensent que le problème se pose autrement.
La réalité des pays africains, le Togo y compris, est que derrière cette pseudo-stratégie électorale unitaire, se cache un vrai piège que les ambitions plates couplées à la précipitation la plus paresseuse empêchent de voir. On pense monter un front contre le tyran. En réalité, on lui fournit l’argument selon lequel, il serait tellement populaire et électoralement puissant dans le pays que pour arriver à le battre, «les opposants» n’ont d’autres alternatives que de se regrouper. Au cas où ils échouent dans ce projet de rassemblement, la victoire du tyran serait due à la dispersion des voix qui auraient dû revenir à un porte-flambeau issu d’une coalition malheureusement avortée. Le tyran regrettera lui-même la défaite de «l’opposition» qui aurait pu l’emporter si elle s’était regroupée. Il compatira à la douleur de «l’opposition» et tous l’accuseront d’avoir mérité son échec. C’est de la pure fumisterie. Car, on efface d’un trait le respect des règles de transparence, du respect du suffrage, de la disproportion des moyens entre le candidat du pouvoir qui bénéficie d’ailleurs du soutien de pays étrangers, d’institutions internationales ainsi que de multinationales intéressées et ses concurrents démunies ou financés parfois pour entretenir le spectacle. Les questions des listes électorales truquées et gonflées, des bulletins pré-votés distribués contre quelques billets de banques ou un bol de riz, de l’administration électorale inféodée au pouvoir, des bureaux de vote fictifs montés par des courtisans zélés et carriéristes balançant en direction de la CENI des résultats totalement fictifs, du rôle de l’armée et de la police en période électorale, du contrôle qu’exerce le pouvoir sur des médias dont il achète le silence avant et pendant le scrutin aux nez et à la barbe de tous, de l’achat des consciences, du bidouillage du matériel informatique afin qu’il double automatiquement la voix du candidat du pouvoir, du vote multiple de certains, du vote anticipé des corps habillés, véritable opération de triche, du contrôle de l’Internet dont le débit est sciemment ralenti, du brouillage du réseau téléphonique, des tracasseries volontairement créées par la permutation de l’ordre des listes électorales et des inscriptions multiples, de la partialité de la Cour constitutionnelle, de l’accréditation quasi-exclusive de quelques organisations locales amies et des observateurs étrangers avides d’argent au mépris de la connaissance du terrain... sont occultées. Toutes les questions qui se posent en amont et en chaînon central sont éclipsées au profit des résultats, en aval.
Lynx.info : La phrase de Lénine selon laquelle « l’important est celui qui compte les voies » est actuellement sur toutes les lèvres. Quelles solutions préconise la J.U.D.A pour que tous les partis jouent franc-jeu ?
Au regard de tout ce que nous venons de dire, nous n’avons aucune suggestion à faire aux partis. Il n’y a pas de franc-jeu lorsqu’un des compétiteurs a tous les moyens de trucage au point où il aurait voulu que le match n’ait même pas lieu. Cependant, cela ne veut pas dire que la partie adverse doit abandonner le combat. Au contraire, à lui de connaître l’identité de son adversaire, ses moyens d’action, ses objectifs et ses alliés pour définir les moyens adéquats afin qu’un vrai match ait lieu. Il faut donc savoir pourquoi on se bat. Si le but de notre combat c’est de répondre aux aspirations et aux besoins de notre peuple, alors, il faut absolument que notre camp, après avoir évaluer ses forces et faiblesses, forge son propre agenda et ses propres outils pour cesser d’accompagner le système.
Nous ne sommes pas dans une compétition électorale classique où les candidats seraient conviés à se mesurer l’un à l’autre loyalement sur une balance démocratique avec leurs programmes politiques respectifs. Notre combat est une lutte de libération. C’est donc une faute que d’inscrire notre peuple dans une dynamique électoraliste qui fonctionne à perte depuis 20 ans. Cette entreprise est ruineuse. Elle ne peut que saper le moral du peuple qui de désillusion en désillusion, finira par embrasser de faux dieux par désespoir. Il va falloir donc revenir en arrière pour mieux repartir car, nous nous trompons de chemin et nous nous moquons gravement de nous-mêmes. Notre pays, à l’instar des autres colonies africaines, n’est pas indépendant. Par conséquent, un peuple africain souverain qui choisirait ses dirigeants et renverrait ceux-ci lorsqu’ils échouent dans leur mission est un mythe à déconstruire au plus vite. Il faut donc un bouleversement total de l’ordre établi actuel pour pouvoir donner ensuite la parole au peuple. Sans cela, nous allons continuer le tournage en rond. Les portes de l’enfer vont davantage s’ouvrir devant nous et les morts d’aujourd’hui seront plus heureux que les vivants de demain si nous continuons par marcher religieusement sur cette fausse piste.
Lynx.info : Gilbert Bawara parle du meilleur fichier électoral de la sous région. Pour Bodjona Pascal une mise á jour suffirait.Apparemment le RPT est plus á l’aise avec le travail de la CENI.Comment vous l’expliquez á la J.U.D.A ?
Il n’y a pas d’autres explications en dehors de ce que vous savez. Comment voulez-vous que le RPT soit malheureux quand il sait que son industrie à frauder tourne à plein régime? Encore une fois, nous serons victime de notre naïveté infantile. Nous ne voulons pas prendre conscience des forces qui dirigent notre pays. Le peuple n’influence rien et ne va rien influencer tant qu’il n’aura pas choisi de refuser de marcher dans l’agenda du pouvoir et ses amis. Le pouvoir a conçu des outils pour ses besoins. Il en est ainsi de la CENI qui accomplit résolument sa mission sous la houlette de Taffa Tabiou. Pourquoi voulez-vous que le RPT s’en offusque?
En plus de ceci, le RPT a créé plusieurs journaux, radio et télévision qui assurent, par la voix de certains journalistes dragués puis convertis, sa propagande en plus des médias publics.
Lynx.info : Quelles appréciations faites-vous du développement á la base initié par Faure ?
Encore une de ces formules brumeuses dont les pouvoirs illégitimes et criminels ont le secret! Le développement n’existe pas en dehors de la satisfaction des besoins du peuple. Donc, par essence tout développement a pour point de départ la base, en l'occurrence, le village, première entité politique. Le fait est qu’il n’y a pas d’Etat. Pas plus au Togo qu’ailleurs en Afrique pour impulser ce processus. Faure Gnassingbe est au Togo, l’un des facteurs inhibiteurs à l’émergence de cet outil essentiel qu’est l’Etat. Faure Gnassingbe n’incarne pas les aspirations du peuple. Il ne le représente pas. Personne à l’intérieur du pays ne l’a désigné pour diriger le Togo et donc, personne n’attend de lui qu’il développe quoi que ce soit. Il incarne nullement l’intérêt commun au profit d’intérêts claniques et étrangers. Bref, il n’a rien initié et n’initiera rien dans l’intérêt de notre peuple qu’il a tué et violé impunément. Il le méprise. N’est-ce pas lui qui a fait adopter le cahier néolibéral qu’est le fameux document stratégique de réduction de la pauvreté en catimini avec quelques prétendues organisations de la société civile pour mieux appauvrir notre peuple? Fait-on du développement d’un pays en violant et en tuant son peuple? Fait-on le développement d’un pays en érigeant des frontières artificielles et criminellement électoralistes entre un Nord acquis et un Sud, opposant? Fait-on le développement en siphonnant les biens publics pour les placer à l’extérieur et s’acheter des voitures de luxe? Quand on soumet les autorités traditionnelles, les discréditant ainsi aux yeux des populations qu’elles sont censées conduire, quand on révoque d’autres à des fins électoralistes, quand on sacrifie l’éducation, la santé, l’accès aux besoins alimentaires et énergétiques au profit des dépenses militaires et du remboursement du service de la dette odieuse, on fait donc du développement à la base?! Quand on se promène sur le territoire en hélicoptère aux yeux des populations appauvries et humiliées, quand on se fait faire des prières dithyrambiques avec l’évocation des ancêtres et du sang de moutons égorgés à ses pieds, on fait du développement à la base?! Quand on mobilise les populations sinistrées, non pas pour travailler, mais pour se faire acclamer et danser toute une journée, on fait donc du développement à la base?! Drôle de développement qui ne se développe qu’au sein d’un clan et d’un cercle d’amis aux ambitions d’école enfantine.
Le microcrédit qu’on chante n’est pas non plus une solution contre la pauvreté car, il est destiné aux citoyens solvables et non aux plus démunis. De surcroît, le taux qu’on qualifie de bonifié n’est pas si facile que ça à payer.
En clair, le développement à la base à la Gnassingbe, c’est de l’enfumage! Du slogan creux et de la propagande de mauvais goût! Rien d’autre.
Lynx.info : La commission « Vérité-Réconciliation » souffre déjà de moyens financiers. Faure est-il sincère quand il dit reconcilier tous les togolais ?
Vous osez croire qu’il y aura de la vérité et de la réconciliation sous le régime des Gnassingbe? Au risque de vous décevoir et de déplaire à votre lectorat, Faure Gnassingbe n’est pas sincère du tout. Si non, il n’aurait pas été là où il se tient actuellement. Il suffit de poser la question de savoir à qui profite l’absence de la vérité pour savoir que Faure Gnassingbe ne fera rien. Il faut qu’à un moment donné, nous cessions de nous mentir à nous-mêmes en entretenant envers nous-mêmes de faux espoirs. C’est pareil pour des idées telles: on adresse une pétition au tyran, on lui demande d’organiser des élections transparentes...Si le tyran écoutait la voix du peuple, serait-il encore tyran? S’il organisait des élections transparentes, lui reviendrait-il de les organiser? Tant que le peuple noir ne serait pas en mesure de bouleverser l’ordre établi actuel, on aura rien. En fin de compte, avec ce genre de questionnements, nous participons à notre propre mépris.
Lynx.info : Finalement l’APG s’est refermé sans résultats probants sur l’opposition signataire. Croyez-vous á la J.U.D.A quand Faure déclare organiser des élections crédibles comme au Ghana voisin ?
A la J.U.D.A on n’accorde aucun crédit à la parole d’un homme de l’acabit de Faure Gnassingbe. Seul un travail méthodique avec des outils adéquats pourra nous permettre de venir à bout de ce régime. Mais, nous ne pouvons empêcher les gens de rêver et d’espérer des miracles. S’ils ont déjà vu des miracles de cet ordre se réaliser tout seuls, alors libres à eux de rêver.
Lynx.info : Vous refusez á la J.U.D.A le rapatriement des cendres de Sylvanus Olympio Pourquoi Mr Kpogli ?
Notre opposition à ce simulacre d’hommage est motivée essentiellement par deux raisons: la première se résume en ce que Faure Gnassingbe est l’incarnation absolue et la continuation de tout ce contre quoi Sylvanus Olympio s’est battu. Toutes choses ayant finalement réussi à avoir sa peau au travers de quelques seconds couteaux sans doute tranchants mais intrinsèquement incultes. C’est donc un hommage à rebrousse-poil.
La deuxième est plutôt relative à l’opportunité de l’annonce de ce rapatriement. Visiblement en mal de popularité et à la quête d’un sujet d’envergure national pouvant justifier la frauduleuse victoire électorale en préparation, Faure Gnassingbe jette son dévolu sur la mémoire de ce grand homme. C’est de la communication pro-active. Nous avions appelé donc tous les citoyens épris de liberté à empêcher cette récupération grotesque.
Lynx.info :Avez-vous des messages á l’endroit du peuple togolais ?
Il n’y a pas de raccourcis contre une tyrannie pilotée depuis l’extérieur. Avec ce que nous faisons actuellement, nous n’allons nulle part. Il faut changer de braquet. Ceci se fera quand l’heure aura sonné pour une minorité de patriotes formée, consciente, organisée et agissante de ne plus accepter la soumission de notre peuple.
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info
Le 27 janvier 2010
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