samedi 10 décembre 2011

Droits de l'Homme: "il est temps de se demander quel est cet homme qui a des droits et quels sont ces droits" Komla KPOGLI


Komla Kpogli, Secrétaire Général de la Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique (J.U.D.A) échange avec Lynx.info.

Lynx.info : Bob Denard disait qu’avec les africains : « Il faut montrer la force pour ne plus avoir à s’en servir ». Le traumatisme des ivoiriens dû aux bombardements français ne va-t-il pas rendre définitivement ce peuple amorphe ?

Komla Kpogli : Au-delà du peuple sur le territoire de Côte d’Ivoire, c’est tous les africains qui sont concernés par la question. A la commotion issu des razzias négrières transatlantiques et de la colonisation directe vient s’ajouter le traumatisme créé par les différents types d’agressions dont notre peuple est victime. L’objectif, en assénant ces coups au peuple noir est de l’atteindre psychologiquement, le paralyser dans la réflexion autonome pour ainsi mieux le contrôler et le bloquer dans les actions qui peuvent le conduire à son émancipation. Cette pratique peut être rapprochée de ce qu’on appelle la « stratégie du fou ». Cette stratégie dont l’invention est attribuée à Israël dans les années 50, permet à ceux qui la déploient de montrer à leur ennemi qu’ils sont pourvus d’une force de frappe terrible qu’ils peuvent montrer dans toute sa splendeur à l’occasion et qu’il vaut ainsi mieux se plier à leur volonté que tenter de les confronter.

Même si pour le moment la peur est installée, les mémoires sont traumatisées et les bandits installés au pouvoir dans le territoire de Côte d’Ivoire, ceci ne va pas durer éternellement. La lutte pour la libération d’un peuple est invincible même si elle peut enregistrer ici ou là et à un moment ou à un autre des échecs, ceux-ci ne peuvent empêcher définitivement la victoire finale. C’est pour cette raison qu’il faut tirer tous les enseignements de ce qui s’est passé et de ce qui se passe. Puis, redéfinir aussi bien nos réflexions que nos moyens d’actions ainsi que nos méthodes en fonction de ces analyses. De ce qui vient de se passer dans ce territoire, une première observation s’impose : nos analyses selon lesquelles nous sommes demeurés dans un système colonial, nos analyses selon lesquelles pour combattre la France ne devons savoir ce dont elle capable dans les territoires africains, nos analyses maintes fois répétées selon lesquelles nous devons nous inscrire dans une démarche globale se confirment. Aucun territoire en solo ne peut sortir des griffes du système colonial. Il faut plus de solidarité, plus de rassemblement et plus de resserrement des liens entre les différents mouvements qui agissent dans chacun des territoires pour en faire un vrai front contre le système. C’est donc le lieu de réitérer l’idée du Front Africain contre le Néocolonialisme (FAN) proposée par la J.U.D.A dans sa déclaration datée du 15 février 2005 et renouvelée dans une autre déclaration le 30 décembre 2010. Ne disons pas plus pour le moment.

Lynx.info : Les 1308 morts de Duekoué en un seul jour par les forces de Ouattara n’ont pas été retenus comme crime de guerre par la CPI….

Ces crimes sont de « bons crimes » car commis par des individus qui sont du bon côté. Ce sont des agents. Ils sont couverts par l’immunité et ils sont assurés d’une impunité totale puisque ceux qui prétendent rendre justice dans ces cas là, sont justement leurs parrains. La Fédération internationales des ligues des droits de l’homme (FIDH) ne fait pas autre chose lorsque son Monsieur Afrique en la personne du français Florent Geel énonce que la justice, leur justice, plus précisément la très sélective cour pénale internationale n’a pas pour mission de juger tous les criminels. Le même Geel pour immuniser ces bons criminels tentait, déjà en juillet dernier, d’introduire les crimes de Duekoué comme des dégâts relevant d’une sorte de légitime défense face aux projets macabres des « milices pro-Gbagbo » avant de préciser qu’on devait se méfier des témoignages parlant de crimes commis par les dozos et les rebelles de Soro-Ouattara car, estimait-il, il avait été lui-même « confronté à des témoignages bidon et instrumentalisés, essentiellement à Duékoué.»  Donc, vous voyez vous-mêmes où on en est.

Face à ces justifications des crimes des forces qu’on veut voir arriver au pouvoir par une organisation présentée comme sérieuse, crédible et impartiale dans ses fameuses enquêtes, il faut dire simplement qu’un jour les africains qui pour le moment, ne comprenant pas l'arnaque des droits de l'homme, de la liberté et de la démocratie venant de l'Occident, se lient naïvement ou pour des miettes de financements de leur business associatif, d'amitié avec ses organisations dites de défense droits de l'homme, comprendront combien ils sont utilisés contre nous-mêmes. Contre leur peuple et contre leur propre avenir et celui de leurs enfants. Car, ces organisations ne sont des outils que pour permettre à l’Occident capitaliste d’atteindre ses objectifs en ciblant de façon farouche les poches de résistance à ses tentacules ; une pratique agrémentée de quelques rares incursions convenues dans les pays amis à qui elles se contentent d’adresser des recommandations à la suite d’enquêtes bien diluées. Ils comprendront enfin que le premier droit de "l'homme africain" c'est le devoir de combattre toute soumission, toute domination et toute forme d'exploitation coloniale. Car, on ne développe pas un continent colonisé. Et en vérité, il n’y a pas de droits de l’homme africain dans un continent soumis et extraverti.

Lynx.info : Du côté de Ouattara on pense que le départ de Laurent Gbagbo à la CPI va réconcilier rapidement les ivoiriens……

Oui, c’est un des arguments évoqués pour camoufler cette déportation. En réalité, même s’il a intérêt à voir Gbagbo définitivement écarté et même si la forme donne l’impression qu’il est celui qui décide pleinement, ce n’est pas Ouattara qui est aux commandes. C’est la France qui est en première ligne. Elle veut, par cette déportation, punir ce qu’elle considère comme l’insolence du président Laurent Gbagbo qui a régulièrement eu des positions et des propos que la France ne peut tolérer pendant longtemps dans son espace. Il faut fermer cette parenthèse appelée l’arrogance de Gbagbo qu’on a tenté d’ailleurs de présenter comme un francophobe alors même que les entreprises françaises et des personnalités françaises dominent l’économie du pays et n’ont cessé de le fréquenter. Au fond, avons-nous besoin d’être francophiles ou francophobes ? Non ! Nous avons à défendre les intérêts de notre peuple sans aucun sentimentalisme enfantin. Bref, le territoire de Côte d’Ivoire doit redevenir normal et pour cela, il fallait utiliser les gros moyens. Sarkozy avait fait déclarer à Ouattara qu’il ne faut pas tuer le président Gbagbo pour éviter d’en faire un nouveau martyr africain. Ils le voulaient vivant afin de lui infliger des humiliations qui serviront d’exemple à tous ceux que l’idée de dignité traversera. Ceci s’inscrit dans le canevas tracé par un gouverneur de l’Afrique occidentale qui en 1932 écrivait que la France « ne pouvait admettre à la tête des colonies des dirigeants qui prétendraient faire échec à l’autorité française, soit par inertie systématique, soit dans une résistance ouverte ». Il faut donc, préconisait-il, « neutraliser les ferments de discorde et prévenir la contamination des éléments hostiles à l’action coloniale  de la France». On ne peut mieux résumer la situation. Samory était de ses éléments hostiles, Behanzin était de ces éléments hostiles. Gbagbo aujourd’hui est de ces éléments comme le furent Olympio, Lumumba, Sankara… Mais, malgré la similitude des faits et des pratiques, il existe une bande d’irréductibles négro-occidentalisés trépanés dans les écoles et universités occidentales pour qui tout rapprochement de ce qui est fait contre le président Gbagbo de ces cas précédents relève d’une fraude historique. Comme l’hôpital aime se foutre de la charité, ces petits griots historiquement incultes prétendent que ceux qui essaient de leur rappeler l’histoire sont dans le faux et dans l’aberration. Or, par leurs fameuses analyses, ces « intellectuels » de « l’élite indigène » font la preuve manifeste qu’ils n’ont jamais lu une seule ligne de la littérature coloniale à propos de Behanzin par exemple. Ils ne peuvent donc rien en déduire. Aussi se permettent-ils de présenter les choses dans un ordre totalement inédit oubliant que si le président Gbagbo était, comme ils l’écrivent, comparable à Mobutu, Sassou ou Gnassingbé, il doit donc manquer une pièce pour que le scénario soit complet car, ces derniers sont restés et restent de bons amis avec ceux qui ont tué en Côte d’Ivoire et capturé le président Gbagbo.

Lynx.info : Le procureur Luis Ocampo parle des ivoiriens qui suivront Laurent Gbagbo à la CPI. Vous le croyez ?

Oui, il faut le croire. Et ces gens ou personnalités sont tout au plus au nombre de 7, selon les déclarations de Florent Geel, Monsieur Afrique de la FIDH, qui sur ce coup là est plus que le porte-parole de cet inénarrable procureur Ocampo pour qui les crimes contre l’humanité n’ont que le visage noir des africains ; des africains manifestement triés sur le volet. Cet Ocampo n’a pas vu aussi bien les crimes de Gnassingbé, des Bongo, des Sassou, des Biya, des Guélleh, des Déby, des Bozizé…qui font des massacres cycliques une mesure de leur fidélité à leurs mentors que les crimes commis en Irak encore moins ceux commis en Palestine, en Afghanistan et sur les bases militaires de Guantanamo et d’Abou Ghraïb.

Lynx.info : Beaucoup d’analystes disent que Nicolas Sarkozy  veut utiliser le cas ivoirien pour avertir que toute lutte pour la libération des peuples africains sera matée. C’est aussi votre avis ?

C’est une évidence. Mais comme nous l’avions dit un peu plus tôt, cette lutte ne sera jamais arrêtée parce qu’elle est justement une lutte de libération. Ce qui, en revanche, fait vraiment peur c’est le fait que certains africains n’aient pas encore compris ou refusent de comprendre que les territoires africains ne sont en rien indépendants et que du fait de l’assassinat des leaders ou leur renversement par coup d’état, le processus qui conduisait l’Afrique à sa libération a été interrompu. Cette interruption brutale a été menée de main de maître dans l’espace francophone par le Général De Gaulle, vénéré par le peuple français et une quelques africains qui ont attribué ou confirmé l’attribution de son nom à des rues et des places en terre africaine. Une autre source d’inquiétude réside dans le fait que d’autres africains encore considèrent toujours l’Occident comme une partie de la solution sinon la solution alors que l’Occident est bel et bien une bonne partie du problème.
Toutefois, en dehors de la répression brute, le colonialisme utilise d’autres outils plus doux, moins perceptibles pour nombreux africains pour briser la résistance ou en tout cas pour retarder la prise de conscience des africains. Il s’agit entre autres des médias (BBC, RFI, France 24, CNN, Vox of America, Deutsche Welle…) dont les africains en raffolent, car se disent-ils ainsi civilisés en les écoutant, des séries télévisées, des sectes et autres loges maçonniques qui mystifient les plus crédules, de l’école coloniale, du catholicisme colonial, du protestantisme le plus éculé, de l’évangélisme born-again destructeur, du business associatif qui appâte avec des miettes de fonds et financements des esprits qui manifestent des signes de compréhension, des ONG prétendument humanitaires paralysant toute imagination locale et consolidant l’extraversion, des centres culturels français, allemands (instituts Goethe)…faisant des africains qui les fréquentent des amis de ces cultures au détriment de la culture africaine, des institutions telles que la francophonie qui structure patiemment mais résolument la jeunesse africaine en la dotant des CNJ (Congrès National de la Jeunesse) et le Commonwealth promouvant les langues des pays qui les ont pensées aux fins de conserver et renforcer les liens entre les métropoles et les colonies…

Face donc à toute ceci, le chantier est certes immense mais pas impossible. Il faut d’abord que les noirs commencent par s’emparer de la vertu de l’humilité pour apprendre et ainsi recouvrer la mémoire historique, car sans apprentissage point d’ouvrage. Il faudra aussi commencer par admettre que sous un leadership éclairé, les peuples les plus médiocres ont pu faire des bonds dans l'histoire et qu’en conséquence l’attitude typiquement négro-africaine qui nous fait haïr celles et ceux de nos enfants qui sont lucides et capables d'imprimer un rythme de marche relève de la folie qui conduit au suicide. C'est uniquement sous un leadership capable que nous relèveront la tête et dans ce cas, il faut dénoncer les mesquineries qui nous minent, braquer la torche sur les petits coups bas, éclairer les petits arrangements nocturnes pour isoler, détruire ou court-circuiter les gens les plus vaillants parmi nous et saboter les initiatives les plus audacieuses, ne plus confier aux plus incapables mais qui par la ruse et le torpillage des autres s’accaparent des tâches qu'ils se précipitent à couler dans l’immobilisme le plus paralysant. Dans un souci d’efficacité chacun a certainement une place, mais n'importe quelle place ne convient à n'importe qui. Ce n’est qu’à partir de tout ceci qu’une organisation globale bien structurée et munie des moyens les plus adaptés conduira notre marche vers des plaines vertes après avoir vaincu des difficultés les plus terribles imposées par le système que nous avons en face de nous.

Lynx.info : On a tué au nom de la démocratie en Côte d’Ivoire. Comment expliquez-vous que Ouattara s’apprête à organiser des élections unilatérales sans être inquiété par l’UE, la CEDEAO, l’UE ?

Il ne peut y avoir « démocratie » dans un cadre colonial. Le concept de démocratie a servi à habiller une guerre de reconquête d’un territoire qui était passé aux mains d’un homme et ses amis qui n’avaient pas été cooptés. Ce sont des intrus qu’on a chassés et on ne peut, en aucun cas sous le prétexte d’une notion démocratique qu’on ne définit d’ailleurs jamais, les faire revenir. Le but de tout ce qui se passe, une fois encore, est que ce territoire redevienne normal et rentre dans les rangs. Le pouvoir colonial n’est partagé véritablement qu’avec les femmes et les hommes qui ont l’aptitude d’assumer froidement les dégâts qu’ils infligent aux populations tout en étant chaleureux et hyperactifs dans la défense des intérêts extérieurs et les leurs propres. A moins que les dirigeants du Front Populaire Ivoirien dispose d’un capital humain bien aguerri qu’il introduit intelligemment dans le système pour des missions précises ou à moins d’inverser le rapport de force brutalement sur le moyen ou long terme, Ouattara et ses acolytes s’ils ont la santé et aussi longtemps qu’ils seront dociles, resteront au pouvoir sous un protectorat occidental et avant tout français. Tant pis pour ceux qui pensent qu’Alassane Ouattara est mis au pouvoir pour faire autre chose.

Lynx.info : L’organisme des droits de l’homme Human Right Watch salut le transfèrement de Laurent Gbagbo….

Elle n’est pas la seule organisation dite de défense des droits de l’homme à se réjouir de cet événement qui n’est qu’une étape supplémentaire après une longue marche qui entraîne l’homme Gbagbo à la sortie. A travers cette épisode, ces ONG qui défendent tout sauf le droit du peuple noir à résister contre toute forme de domination et de soumission collective établies souvent à la suite des guerres d'agression, révèlent leur vraie nature. Nous sommes donc arrivés à un moment où les africains qui se sont laissés prendre à leur jeu, doivent commencer par se demander quel est cet homme qui a des droits et quels sont ces droits que ces organisations défendent vraiment.  Mais, il faut le redire, le terrorisme occidental n’aura pas triomphé. Il aura vaincu probablement un résistant comme ce fut le cas avec l’assassinat de Nasser, de Sylvanus Olympio, de Lumumba, de Biko, et plus loin de Behanzin, de Samory et de tant d’autres résistants anonymes massivement tués. Ce terrorisme n’a pas triomphé et ne triomphera jamais pour la simple et bonne raison que la résistance qui lui est opposée en Afrique ne se réduit pas à une personne, aussi immense fut-elle. Elle est systémique et populaire. Elle est un souffle qui se transmet.

Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info
Vendredi 09 décembre 2011

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