vendredi 25 janvier 2008

Présidentielle du 24 avril 2005: Rodrigue Kpogli, SG de la JUDA S'entretient avec le journal Arcanes


Après la publication des résultats officiels de la présidentielle du 24 avril au Togo et tout ce qui s’en est suivi, le Secrétaire Général de la Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique-J.U.D.A- Rodrigue KPOGLI se prononce sur la situation. La J.U.D.A qui est une association de défense des droits de l’homme et de promotion de la démocratie, œuvre pour l’émergence d’une nouvelle Afrique. Cette association de Jeunes Africains, est membre du Collectif des Associations de la Société Civile et des Organisations syndicales du Togo (CASCOST).

ARCANES : les élections du 24 Avril dernier, selon-vous, sont-elles démocratiques ?

Rodrigue KPOGLI : Absolument pas ! Il ne suffit pas de la présence d’électeurs dans les centres de vote, du déploiement du matériel électoral et des observateurs pour parler d’élection démocratique, mais des élections démocratiques supposent un fichier électoral crédible, le respect des lois électorales du début jusqu’à la fin et surtout le résultat qui doit être conforme au choix du peuple dans les urnes.
Au Togo, c’est plutôt l’antithèse de ces principes rudimentaires qui a été observée. De la distribution sélective des cartes d'électeur à la proclamation de faux résultats en passant par le gonflement évident du fichier électoral, le processus a été vicié et entaché de beaucoup de fraudes.
Donc ce qui s’est passé n’a aucune similitude avec des élections démocratiques. C’est du vol à main armée du suffrage populaire. Et c’est du jamais vu !

ARCANES : Pourquoi parlez-vous de vol à main armée ?

Rodrigue KPOGLI : Ecoutez, nous n’avons pas d’autres mots pour qualifier ce qui s’est passé à la proclamation des prétendus résultats par la CENI. Ces résultats, la main sur le cœur, ne correspondent à aucune donnée réelle. C’est de la fiction absolue. Mais lorsque le peuple togolais, seul et unique détenteur de la souveraineté démocratique voulait s’y opposer, on a tourné le bout du fusil vers lui. C’est dommage et déplorable que certains togolais animés d’un égotisme néfaste, enfoncent leur propre pays dans le gouffre.

La suite, tout le monde le sait, c’est des morts, des blessés, des exilés involontaires et des dégâts matériels très importants. La violence était telle que le peuple togolais a abandonné son droit de contester le faux substitué au vrai, à lui présenté.

ARCANES : Quel constat, la JUDA peut-elle faire de la situation des droits de l’homme en ce moment au Togo ?

Rodrigue KPOGLI : L’hostilité du Togo à l’égard des droits humains est connue depuis des lustres. Mais aujourd’hui, c’est l’automne pour les droits de l’homme au Togo ; en ligne de mire le droit à la vie et à l’intégrité physique, source d’autres privilèges reconnus à l’Homme.
Permettez-nous, avant d’entrer en détail, de nous incliner avec toute la tristesse au cœur et sincèrement, devant la dépouille de ceux qui sont froidement abattus par balle, à coup de gourdins, de machettes, de lances, de haches pour avoir osé contester le faux et l’injustice. Les blessés innombrables qui souffrent aujourd’hui, méritent notre admiration et soutien. Aux familles de ces victimes, nos salutations de compassion et de solidarité.

Les atrocités auxquelles nous avions été témoins ne sont rien d’autre que de la barbarie que nous condamnons avec la dernière rigueur.
Du 24 au 29 Avril ont été des journées de farouche répression. Le sang a coulé à flot. Des maisons ont été visitées et des atrocités indicibles ont été commises.
Sur toute l’étendue du territoire, le cri du sang a été entendu. Le bilan est au-delà de la centaine de morts et des centaines de blessés.

Ce contexte de terreur entretenu par des miliciens appuyés par les éléments des FAT était prévisible. Les multiples appels des organisations de défense des droits de l’Homme pour l’envoi des troupes internationales pour protéger le peuple s’inscrivaient dans cette logique confirmée plus tard par l’ex-ministre de l’Intérieur Akila Esso Boko. L’acte de Mr Boko avait une forte portée citoyenne. C’était un coup de Trafalgar pour ceux qui ont planifié le naufrage du peuple togolais ; on voulait même le lyncher. Mais personne n’a pris en considération ces alarmes.
On note plusieurs disparus et plus de 18.000 togolais réfugiés au Bénin et au Ghana.

Les menaces et intimidations graves sur les défenseurs des droits de l’homme. Le droit à l’information est aboli. La coupure des lignes téléphoniques durant des jours.

Il faut aussi parler de la fermeture et de l’interdiction de diffuser adressée aux médias privés et indépendants à savoir les radios Kanal FM, Maria, Nana FM, Nostalgie ; Lumière à Aneho a été incendiée, son directeur en fuite, est traqué jusque dans son dernier retranchement. Peace FM à Kpalimé a vu son émetteur enlevé et son directeur aussi en fuite. La presse écrite aussi est mise au pas, elle est étranglée pour être domestiquée.

Cette ambiance déplorable est indigne du 21ème siècle, juste pour des élections. C’est tout comme une guerre ; l’aviation militaire a été mise à contribution pour mâter la contestation. Les cas de torture et de viols collectifs ne sont plus à compter. Ces violations graves et lourdes des libertés et droits des togolais continuent sous d’autre formes à savoir des enlèvements, des sévices corporelles administrées aux personnes arbitrairement détenues et des visites inopinées au domicile des défenseurs des droits de l’homme qui sont toujours menacés avec leur famille. Ainsi la situation politique en ce moment au Togo peut se résumer à la honteuse mais populaire sagesse, largement partagée et représenter par l’image d’un singe trois fois taré : un singe qui, tour à tour, ne voit volontairement rien, ne dit rien volontairement, n’entend volontairement rien. Un singe crétinisé, décérébré.

Il faut condamner toutes ces violences qui n’ont pour but que de faire asseoir une autorité illégitime. Les préposés et les commettants de ces actes inhumains, même si aujourd’hui ne sont pas inquiétés, il faudra un jour qu’ils répondent de leurs crimes devant des tribunaux. Autrement, ils subiront la sanction de la justice divine car il est des abominations que la loi de la nature ne pardonne pas.

ARCANES : Malgré cette description négative, pourquoi alors la communauté internationale a-t-elle reconnu les résultats du vote ?

Rodrigue KPOGLI : Ecoutez, le Togo est victime d’une sorte de conspiration internationale. Reconnaître les résultats de surcroît fictifs issus de ce très heurté processus électoral, relève du blasphème démocratique. C’est une injure grave à l’intelligence du peuple togolais qui n’a connu que des souffrances sous le régime RPT.
Mais la diplomatie étant ce qu’elle est, les Etats ont préféré le cynisme et l’hypocrisie à la justice en se réfugiant derrière la CEDEAO. Il faut le souligner, la J.U.D.A n’a jamais compté sur la communauté internationale, car à voir ce qui s’est passé au Rwanda où 1 Million de personnes ont été massacrés aux yeux de cette communauté, on ne peut que déchanter. Pour cela la J.U.D.A a toujours plaidé pour une solution authentique, si vous voulez , , endogène pour le Togo.

C’est quand même étonnant de voir toute la communauté internationale s’aligner derrière la position de la CEDEAO , ce syndicat des chefs d’Etat majoritairement acquis à la cause française.
Cela semble une attitude des moutons de panurge. C’est un unanimisme assassin.

ARCANES : Comment percevez-vous le rôle de la France dans la situation du Togo ?

Rodrigue KPOGLI : La France a été et est un danger pour les peuples africains. Consciente de ses faiblesses et atteinte d’un complexe d’infériorité face aux USA qu’elle cherche vaille que vaille à concurrencer, la France ruine les Etats africains en les maintenant sous une tutelle plus que destructrice.

La France fait tout pour qu’à la tête de nos pays se trouvent des préfets locaux, des métayers dont la mission est de veiller aux intérêts mafieux et méphistophéliques de ce qu’on nomme la Francafrique. Cette alliance contre-nature qui depuis Foccart, ne cesse d’accoucher que des monstres et des carriéristes en Afrique.

Pour Chirac et ses apôtres, la dictature dans le contexte africain est un mot, non un mal. Et ce qui vient d’être accompli au Togo confirme la réelle intention de Chirac selon qui les peuples d’Afrique ne sont pas mûrs pour la démocratie. De plus pour la France, la démocratie africaine doit être un produit manufacturé importé, à utiliser en référence à la notice prescrite par le laboratoire élyséen. Les peuples africains n’ont rien a y faire..

Ainsi tous les reproches faits à la diplomatie française ne lui ont pas fait changer de tactique. Au mépris de la dignité du peuple togolais, la patrie des droits humains, comme on ose l’appeler, a intronisé le fils de son « ami » et qui est aussi l’« ami personnel » de son président Chirac.
Mais, la France doit savoir que, sur le continent africain émerge une nouvelle génération d’hommes qui ne veut plus être sous cette tutelle dévastatrice.

Voyez, après avoir enfoncé le peuple togolais dans les profondeurs abyssales de l’amertume, cette France accueille l’ex-ministre Boko sous prétexte de le protéger contre les autorités togolaises qui le réclament. Côté humanitaire d’une laide façon de faire ! C’est très facile ! Chirac croit alors s'acheter bonne conscience à vingt cinq francs CFA. Ce geste humanitaire petit format cache en réalité d’autres intentions.

Il faut nécessairement une nouvelle politique africaine de la France. Et pour cela, le peuple français doit dans son ensemble mettre la pression avec des manifestations de protestation à l’image des Américains qui ont publiquement dénoncé et cela massivement la politique étrangère de Bush lorsqu’il décida d’envahir l’Irak.

La Jeunesse africaine demande la solidarité du peuple français dans ce combat contre le néocolonialisme qui ne doit plus être l’affaire de certaines personnalités qui sont victimes d’une censure orchestrée dans la presse française.

Face à l’injustice infligée par la France officielle aux Africains, le silence des Français frise la complicité.

ARCANES : Pourquoi mêlez-vous le peuple Français de cette histoire ?

Rodrigue KPOGLI : Le Peuple Français est détenteur du suffrage. Il peut sanctionner les dirigeants qui n’incarnent pas ses aspirations. Vous comprenez à ce moment là que la mobilisation des Français contre l’inhumaine politique africaine de la France, peut faire évoluer les choses de façon positive. De ce point de vue, les médias ont un rôle prépondérant à jouer.

La dénonciation du néocolonialisme français doit dépasser les frontières des associations telles que Survie, Agir, MEDDA…et autres partis tels les Verts de Mamère, la LCR de Besanscenot, ou de certaines personnalités du monde universitaire qui ne bénéficient que de rares espaces dans la presse française. Il faut qu’elle devienne vraiment populaire, provoquant ainsi un débat national.

ARCANES : Quel regard portez-vous sur l’attitude de la coalition dont font partie les partis radicaux ?

Rodrigue KPOGLI : Nous ne comprenons jamais ce qualificatif « radicaux » collé à des partis qui refusent de cautionner l’absurdité et l’obscurantisme. Y-a-t-il de parti plus radical au Togo que le RPT, parti au pouvoir ? Ce parti a montré qu’il est prêt à exploiter tous les moyens pour parvenir à ses fins.

La démocratie naît d’abord du refus de l’arbitraire. Et si refuser l’arbitraire, c’est être radical alors il y a plus de radicaux dans le monde que de modérés. Ceci étant dit, nous voudrions dire que ce choix du candidat unique a été une bonne chose. Même si cela a été un accouchement à la césarienne, il faut reconnaître que cette option a orienté le peuple dans un sens. Cet accouchement difficile et douloureux a eu néanmoins un vrai soutien populaire.

Mais, à notre sens, la gestion efficiente et efficace de la période post-électorale reste tout de même un défi à relever par l’opposition togolaise qui jusque-là, a toujours bénéficié d’une disponibilité populaire et massive.

Nous croyons que ce peuple et sa jeunesse sont prêts à décoller ou à soulever une montagne à la seule condition qu’ils aient un levier. Il leur faut un vrai leader qui leur montre le chemin. De ce point de vue, il est plus question de stratégies et de moyens appropriés que de discours cyclothymiques.

ARCANES : Faure Gnassingbé. a promis un Gouvernement d’union nationale au cours de la campagne, il le réitère après sa victoire et la communauté internationale demande la même chose. Qu’en pensez-vous ?

Rodrigue KPOGLI : Il revient aux partis politiques de juger de l’opportunité d’une telle proposition. Mais à notre avis, le Gouvernement d’Union Nationale est une fabrication de la françafrique qui vise à légitimer une autorité illégitime voire inexistante au départ. De plus, le principe de gouvernement d’union nationale n’existe pas en droit public et dans aucune faculté de sciences politiques, vous ne verrez de ses traces.

Le parti vainqueur d’une élection forme un gouvernement et les autres sont dans l’opposition.
C’est farfelu qu’après chaque fraude électorale, on nous sorte cette idée de gouvernement d’union nationale ou gouvernement de large ouverture. Et c’est toujours applicable en Afrique où on croit faire de la réconciliation en associant les adversaires politiques autour du mangeoire. Puisque selon les adeptes de cette idéologie, les africains et surtout les politiques ne se battent que pour aller brouter du côté où l’herbe est verte. C’est bien une formule sordide sortie du laboratoire françafricain comme de l’antalgie. Le peuple est aujourd’hui plus qu’hier, divisé et déchiré. On crée un antagonisme Nord-Sud. On montre le Nord comme attaché au système et le Sud comme hostile à lui.

On tente coûte que coûte de substituer à un problème politique, une question ethnique insensée. Les résultats proclamés officiellement ont été même conçus sur cette base. C’est dommage qu’on en arrive là.

Même les violences de l’après élections ont pris ce sens. Ceux qui sont à l’origine de cette conception des choses sont en train d’orienter le Togo dans le suicide.
Le pont Nord-Sud proclamé est plutôt un mur de séparation. C’est un danger insidieux qui guette le Togo. L’union ne pourra avoir pour fondement la force. Nous vous disons que ce qui se passe au Togo est une situation à degré en dessous zéro de la politique.

ARCANES : Donc pour vous, pas de gouvernement d’union nationale ?

Rodrigue KPOGLI : La Françafrique fonctionne en 3 étapes :

1- On organise les élections présidentielles frauduleuses en faveur d’un homme oint à l’Elysée.

2- On réprime la contestation dans le sang puis on appelle à la formation d’un Gouvernement d’Union Nationale.

3- On organise les élections législatives, municipales ou locales pour sauver les meubles et rendez-vous 5 ans après pour la même chose.

La JUDA ne saurait être le tableau d’affichage d’un certain courant de pensée qui voudrait qu’on se contente de la symbolique. Le symbole n’a aucune valeur lorsque la chose réelle peut être obtenue. Donc le Gouvernement d’Union Nationale, symbole de l’unité nationale est une contorsion politicienne qui semble du cautère appliqué sur une jambe de bois.
Le Togo est un pays sur la civière depuis des années, il a besoin d’un gouvernement légitime pour le redresser.

ARCANES : Le collectif de la société civile à laquelle la J.U.D.A appartient a-t-elle une position sur la question du Gouvernement d’Union Nationale ?

Rodrigue KPOGLI : Nous ne savons pas. Le collectif n’a jamais été entendu. Nous avions toujours fait des propositions à la classe politique qui, de part et d’autre nous considère comme des opposants et donc des ennemis à combattre.

ARCANES : La J.U.D.A nourrit-elle de l’espoir pour le peuple togolais ?

Rodrigue KPOGLI : Tant qu’on vit, il y a de l’espoir. Il est vrai que le Togo est très mal en point actuellement. Nous constatons aussi que l’Union Africaine reste une illusion au regard de ce qui se passe au Togo, qui depuis le 26 Avril est devenu officiellement une monarchie héréditaire..
Beaucoup d’Etats emprunteront certainement cette voie puisque c’est tolérer au Togo. Nous ne croyons pas que l’Afrique sortira de si tôt de l’auberge et ira de l’avant si ses Etats rament à contre-courant du renouveau en faveur des monarchies héréditaires. Dès lors, une véritable mobilisation de la Jeunesse Africaine faisant émerger une opinion publique à l’échelle continentale s’impose pour rejeter ces pratiques précambriennes et démystifier ceux qui se croient dépositaires d’un droit divin de gouverner en Afrique. Déjà, nous avons des rois qui modifient les constitutions pour régner ad vitam eternum.

Ces tristes réalités ne nous décourageront pas. Les grandes idées qui ont servi de remèdes aux maux de ce monde sont nées à des moments d’extrêmes difficultés.
Nous croyons que des solutions plus qu’une solution, existent au cas du Togo.

ARCANES : Merci pour votre disponibilité.

Rodrigue KPOGLI : C’est nous qui vous remercions.

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