jeudi 5 janvier 2012

Il n’y a pas plus redoutables adversaires que ses propres congénères.


Komla KPOGLI
Texte mis à jour le 5 janvier 2012

komla KPOGLI, SG du MOLTRA
Il est des moments où il faut s'arrêter et s'interroger. Et dans la situation qui est la nôtre en ce moment, l'on peut se demander si cela sert à quelque chose de mourir pour les africains? Cette question aussi abrupte et provocante qu’elle puisse paraître mérite d’être posée en cette période où les deux derniers résistants – certes avec ses faiblesses et ses contradictions – en les personnes du Guide de la Jamahiriya Mouammar Kadhafi et du président Laurent Gbagbo sont éliminés de la scène. Le premier assassiné par l'OTAN et le second se trouvant entre les mains des ennemis de l’Afrique. Sa capture et sa détention durant de longs mois, puis sa déportation à la CPI, le bras juridico-politique du système cannibale qui broie l'Afrique depuis des siècles sinon des millénaires, par ceux qui n’ont jamais voulu voir l’Afrique jouer un autre rôle en dehors de cette terre pourvoyeuse de matières premières quasi-gratuitement aux pays industrialisés qui lui fournissent, en retour, des produits finis bas de gamme à prix exorbitants, de terrain de jeu pour les puissances qui y déversent leur excès d’antagonismes et de déchets de toute sorte, au lieu de montrer que les africains sont capables d’être un peuple qui a compris les sales draps dans lesquels il est emballé, ont plutôt clivé. L’immense majorité s’en est plutôt foutue, une majorité a jubilé et une minorité a déploré. Bref, la situation de manière caricaturale est résumée par ce tirailleur sénégalais moderne qui, à la capture du président Laurent Gbagbo, s’écria, un téléphone portable collé à l’oreille : « on a attrapé Gbagbo : vive la libertéééééééé !!! ». Cette image, en réalité dramatique, traduit l’inconscience des africains du rôle qu’on leur fait jouer pour se tuer eux-mêmes. Pour les metteur-en-scène nichés à des milliers de kilomètres dans des palais présidentiels ou dans des tours de multinationales œuvrant en Afrique, cette image et ce cri de joie décrit plus haut ont dû faire sourire et faire dire « quel enculé ? On vous a eu ! »

La route est encore longue pour parvenir à l’érection d’africains conscients

C’est dire combien au sein de notre peuple, il y a des gens pour qui la déliquescence et la déchéance ne signifient pas grand-chose. C’est dire aussi combien la route est longue pour parvenir à l’érection d’africains au fait du monde et aptes à identifier, simplement identifier, les intérêts de notre peuple. C’est triste! Le spectacle est encore plus désolant lorsqu’on a vu Nicolas Sarkozy se faire acclamer lors de son passage en Côte d’Ivoire pour remettre les clés de la maison au chien de garde Alassane Ouattara. Nous ne sommes pas dupes au sujet de la manipulation et l’achat de consciences qui se cachent derrière ce type d’images sur lesquelles on trouve les victimes accueillir en héros leurs bourreaux. Toutefois, voir ne serait-ce qu’un seul africain acclamer Sarkozy est une initiative idiote de trop. On se souvient d’ailleurs du discours de Sarkozy à l’université Cheick Anta Diop de Dakar où il insulta l’Afrique durant des dizaines de minutes sous les acclamations d’un public décrit comme l’élite de l’Afrique. Quelle est cette élite, "élite de demain" disait-on à l’époque, qui acclame celui qui était venu dans son « je suis venu » christique injurier les africains sur leurs propres terres ? Il n’y a qu’en Afrique que pareille infamie est possible. Bush, essayant de réécrire l’histoire de l’Irak devant une presse bien que triée sur le volet, a dû esquiver les chaussures d’un journaliste irakien qui n’en pouvait plus d’écouter la moquerie de cet envahisseur pour qui l'invasion américaine avait libéré l'Irak et lui avait apporté un mieux-être. C'est toute le contraire qui se produit en Afrique. Ici les bourreaux sont élevés au rang de libérateurs. Ici, ils sont perçus et présentés comme des amis bienfaiteurs inspirés par un internationalisme ou un humanisme qu'ils ont pourtant du mal à déployer dans leur propre sphère.

Que Kwame Nkrumah revienne voir l’état des africains

Notre réalité est que nous sommes un pauvre peuple, un peuple insouciant et indolent, un peuple mort, dans un monde vivant et agressif. Un monde qui enterre le corps encore haletant des peuples qu'il a préalablement affaiblis par diverses infiltrations. Que Kwame Nkrumah revienne voir l’état dans lequel nous sommes. Que Sankara revienne voir les africains. Que Lumumba revienne nous voir. Que Samory, Behanzin, Chaka Zulu, Sekou Touré, Sylvanus Olympio, Steve Biko…reviennent tous voir l’état du peuple pour lequel ils ont eu une vie pénible et pour qui ils sont morts pour la plupart, assassinés. Peut-être se demanderont-ils si leur mort avait servi à quelque chose. Peut-être ils se demanderont si ce peuple est-il capable de perpétuer et fructifier leur mémoire. Le constat est amer et il le sera davantage car beaucoup d’africains habitués à la souffrance ou érodés par l’inconscience et l'insouciance n’ont pas encore donné le meilleur d’eux-mêmes pour lacérer la peau à l’Afrique. Ils n’ont pas encore donné tout ce dont ils capables pour maintenir l’Afrique sous la tonte. Afrique, chère Afrique : tu seras tondue jusqu’aux os, car certains de tes enfants ont décidé de t’immobiliser à cet effet! Ils ont choisi, par ignorance crasse ou par cupidité étriquée ou même pour des miettes qui tombent de la table des maîtres, de t’immobiliser comme un cabri pour que les vétérinaires, les maîtres du monde t’inoculent non point un vaccin pour te secourir de la mort, mais plutôt des substances létales.

Face à cela, certains ne sont pas restés indifférents ou spectateurs impassibles. Nous avons tenté des choses. Mais la désillusion est immense et au jour le jour la situation se détériore. Les moyens d’aliénation sont de plus en plus perfectionnés et beaucoup d’africains pris dans les mailles du système louent les outils qui les tuent en réalité. Ainsi, dansent-ils, rient-ils, jubilent-ils face aux bombes et aux actions tutélaires d’un Occident égoïste qui enrobe ses intentions dans le carton de l’humanitaire et des droits de l’homme. Dès qu’un africain démasque ce faux et usage de faux, d’autres africains crient au scandale, lui tombent dessus et le combattent à mort. En agissant ainsi, on démontre que cela ne nous pose aucun problème si notre territoire nous échappe totalement et si, à l'instar de la Côte d'Ivoire et de la Libye, l'Occident vient y dicter sa loi.

On ne peut libérer un peuple qui se pense libre

Le fait est qu’on ne peut libérer un peuple qui se pense et se décrit libre. Et notre peuple a tellement vécu dans des chaînes qu'il ne sent même plus le poids de ses fers. Il se prétend libre lorsqu'il croule sous les charges du colonialisme le plus violent et le plus pilleur. On ne peut rien faire face à une majorité d’africains prêts à être contre l’anticolonialisme et à proclamer que l'Afrique ne subit rien de la part du monde extérieur. En vertu d'ailleurs de cette conviction, des africains sont capables de haïr à mort les leurs qui essaient de leur ouvrir les yeux sur la réalité du monde. C’est-à-dire que dans cette institution d’inversion de responsabilités installée par le colonialisme, les africains prennent effectivement leurs ennemis pour leurs plus fidèles amis et leurs seuls amis, leurs pires ennemis. Que faire si une large part de nous-mêmes n'a pas encore compris où se situe notre devoir et comment notre intérêt vital exige d'organiser à partir de nous-mêmes dans un esprit d'ensemble les moyens de résolution de nos difficultés pour la plupart nées de la rencontre de l'Afrique avec le monde extérieur? Autant, il n'y pas de créations sans créateurs, autant il n'y a pas de libération sans libérateurs. A nos enfants, nous dirons donc ceci : nous avons essayé de vous laisser une autre Afrique, une voie en dehors de celle imposée par le colonialisme, nous avons essayé de ne pas vous laisser en héritage le statut de peuple à terre. Hélas ! Nous avons été férocement combattus par beaucoup de nos propres frères et sœurs. Ces derniers se sont opposés à nous plus que les maîtres dont ils sont l’émanation et donc des alliés objectifs. Et en matière de combat d’un peuple, il n’y a pas plus redoutables adversaires que ses propres congénères. C’est ainsi que nous avons dû faire face simultanément à deux fronts : celui de notre propre peuple et celui des loups du monde extérieur. Un front solidement uni par les liens de sujétion, de fascination voire de subjugation que les dominateurs ont exercé et exercent sur la partie la plus arriérée et la plus aliénée de notre peuple.

Les larmes ne sont pas une arme

Même si quelques africains pleurent l’écrasement des héros de notre peuple, la vérité est que les larmes ne sont pas une arme face à un monde extérieur qui ne lésine sur aucun moyen pour que l’Afrique lui soit éternellement accessible et ses richesses toujours disponibles. Si les larmes et les jérémiades étaient la solution, l'homme noir aurait été libéré depuis. Lorsqu'il s'est retrouvé dans les chaînes et dans les cales des négriers, l'homme noir a pleuré, gémi et supplié. En vain.

Il reste donc que beaucoup trop d’africains trouvent qu’il n’y a pas de problèmes là où il y en a massivement, en réalité. Pour eux, le colonialisme c'est fini; même s'il vient de frapper en Côte d'Ivoire et continue de frapper la Libye sous leurs yeux. Même si l'économie africaine fonctionne toujours sur le modèle du pacte colonial avec le franc CFA entre les mains de la France, le colonialisme, c'est fini il y a de cela 50 ans. "L'Afrique est indépendante, elle agit selon sa propre volonté depuis 50 ans" et s'il lui arrive de ne pas être en mesure de résoudre ses problèmes, c'est parce qu'elle "refuse le développement" en refusant de mimer l'Occident comme le disait faussement Axel Kabou. Et pour ces africains, il ne sert à rien de mourir. Car, ils sont les premiers à dire que « on te tuera pour rien », « tu vas mourir pour rien » et lorsqu’effectivement le moment fatidique arrive, ils disent « aaah, nous t’avions prévenu », « tu t’es laissé prendre comme un chien », « voilà, tu voulais montrer que c’est toi seul qui a compris non, c’est bien fait pour ta gueule ». Autrement dit, « tu luttais pour toi-même, pas pour nous ». Donc, tu péris non pas pour nous, africains. Mais pour toi-même!


Au fond, beaucoup d'africains sont non seulement fatigants mais surtout désespérants. 


Ce texte a été publié le 29 mai 2011 sous le titre: "Cela sert-il à quelque chose de mourir pour les africains?" 

5 commentaires:

Zeca a dit…

... même souci avec les blancs de souche. Je sais ça n'apporte rien à votre moulin, mais c'était juste pour distiller l'idée que tout n'était pas pourri de l'autre côté de la Méditerranée. Je vous souhaite, malgré les envies de renoncement qui nous épuisent tous, de continuer à crier fort et longtemps, quand nos hurlements se rejoindront ensemble nous changerons les quarterons de généraux armés qui dirigent les mondes qu'ils ont dessiné, sur une seule et même planète. Nous étions tous Africains, certains ne l'oublient pas. Bien à vous.

Thami Bouhmouch a dit…

Lorsqu'on lit un texte ce cette envergure, on ne peut qu'avoir de l'estime pour son auteur. Le malheur de l'Afrique sont dus à l'ignorance, à la désinformation et aux manipulations sournoises. Merci Monsieur Komla Kpogli.

Salif a dit…

Ces Africains, non seulement ils sont desesperants et fatigants, mais a cause d'eux il y a des centaines de milliers de personnes innoncentes qui sont appauvries, affamees et tuees...

Ca fait vraiment mal au coeur ....

Chekoff a dit…

http://ivoire-politique.blogspot.com/2012/01/leditorial-de-henry-agre-par-la-haye-la.html

Anonyme a dit…

Ce texte n'est pas faux mais je ne perd pas espoir. Je ne baisse surtout pas les bras et je crois à la vrai indépendance de mon continent car de nos jours il y a beaucoup plus de Patrice Lumumba, de Thomas Sankara, de Steve Biko qui sont revenus avec une grande plus sagesse et moins naïfs. Aujourd'hui nous connaissons mieux nos ennemis et les traître ne sont pas si nombreux qu'on le pense.